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par degrés aux villes de moindre importance. Cette espèce de propagande embrassa le tiers méridional de la France actuelle, pendant que, sous une zone différente, au nord et au centre du pays, la même impulsion des esprits, les mêmes causes sociales, produisaient de tout autres effets[1].

A l’extrémité du territoire, sur des points que ne pouvait atteindre l’influence ultramontaine, un second type de constitution, aussi neuf, aussi énergique, mais moins parfait que l’autre, la commune jurée, naquit spontanément par l’application faite au régime municipal d’un genre d’association dont la pratique dérivait des mœurs germaines[2]. Appropriée à l’état social, au degré de civilisation et aux traditions mixtes des villes de la Gaule septentrionale, cette forme de municipalité libre se propagea du nord au sud, en même temps que l’organisation consulaire se propageait du sud au nord. Des deux côtés, malgré la différence des procédés et des résultats, l’esprit fut le même, esprit d’action, de dévouement civique et d’inspiration créatrice. Les deux grandes formes de constitution municipale, la commune proprement dite[3] et la cité régie par des consuls, eurent également pour principe l’insurrection plus ou moins violente, plus ou moins contenue, et pour but l’égalité des droits et la réhabilitation du travail. Par l’une et par l’autre, l’existence urbaine fut non-seulement restaurée, mais renouvelée ; les villes acquirent la garantie d’un double état de liberté ; elles devinrent personnes juridiques, selon l’ancien droit civil, et personnes juridiques, selon le droit féodal, c’est-à-dire qu’elles n’eurent pas simplement la faculté de gérer les intérêts de voisinage, celle de posséder et d’aliéner, mais qu’elles obtinrent de droit, dans l’enceinte de leurs murailles, la souveraineté que les seigneurs exerçaient sur leurs domaines.

Les deux courans de la révolution municipale, qui marchaient l’un vers l’autre, ne se rencontrèrent pas d’abord ; il y eut entre eux une zone intermédiaire, où l’ébranlement se fit sentir sans aller jusqu’à la réforme complète, au renouvellement constitutionnel. Dans la partie centrale de la Gaule, d’anciens municipes, des villes considérables, s’affranchirent du joug seigneurial par des efforts successifs, qui leur donnèrent une administration plus ou moins libre, plus ou moins démocratique, mais ne tenant rien ni de la commune jurée des villes du

  1. Voyez les Considérations sur l’histoire de France, en tête des Récits des temps mérovingiens, chap. V.
  2. Ibid., chap. V, p. 311.
  3. Ce mot n’avait point dans le moyen-âge la généralité de sens que nous lui prêtons aujourd’hui ; il désignait d’une manière spéciale la municipalité constituée par association et par assurance mutuelle sous la foi du serment. Voyez les Considérations sur l’histoire de France, chap. V, p. 330 et suiv.