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mobilière ; l’esclave attaché à une portion de terre entrait dès-lors dans la catégorie des immeubles ; en même temps que cette dernière classe, celle des serfs proprement dits, s’accroissait aux dépens de la première, la classe des colons et celle des lites durent s’augmenter simultanément par toutes les chances de ruine et de mauvaise fortune qui, à une époque de troubles continuels, affectaient la condition des hommes libres. De plus, ces deux ordres de personnes, que distinguaient non-seulement des différences légales, mais encore la diversité d’origine, tendirent à se rapprocher l’une de l’autre, et à confondre par degrés leurs caractères essentiels. Ce fut, avec le rapprochement opéré dans les hautes régions sociales entre les Gaulois et les Germains, le premier pas vers la fusion des races, qui devait, après cinq siècles, produire une nation nouvelle. Au cœur même de la société barbare, ce qui avait primitivement fait sa puissance et sa dignité, la classe des petits propriétaires diminua et finit par s’éteindre en tombant sous le vasselage ou dans une dépendance moins noble qui tenait plus ou moins de la servitude réelle. Par un mouvement contraire, les esclaves domiciliés sur quelque portion de domaine et incorporés à l’immeuble, s’élevèrent, à la faveur de cette fixité de position et d’une tolérance dont le temps fit un droit pour eux, jusqu’à une condition très voisine de l’état de lite et de l’état de colon devenus eux-mêmes, sous des noms divers, à peu près identiques. Là se fit la rencontre des hommes libres déchus vers la servitude, et des esclaves parvenus à une sorte de demi-liberté. Il se forma ainsi, dans toute l’étendue de la Gaule, une masse d’agriculteurs et d’artisans ruraux dont la destinée fut de plus en plus égale, sans être jamais uniforme, et un nouveau travail de création sociale, se fit dans les campagnes, pendant que les villes étaient stationnaires ou déclinaient de plus en plus. Cette révolution lente et insensible se lia, dans sa marche graduelle, à de grands défrichemens du sol exécutés sur l’immense étendue de forêts et de terrains vagues qui, du fisc impérial, avaient passé dans le domaine des rois franks, et dont une large part fut donnée par ces rois en propriété à l’église, et en bénéfice à leurs fidèles.

L’église eut l’initiative dans cette reprise du mouvement de vie et de progrès ; dépositaire des plus nobles débris de l’ancienne civilisation, elle ne dédaigna point de recueillir, avec la science et les arts de l’esprit, la tradition des procédés mécaniques et agricoles. Une abbaye n’était pas seulement un lieu de prière et de méditation, c’était encore un asile ouvert contre l’envahissement de la barbarie sous toutes ses formes ; ce refuge des livres et du savoir abritait des ateliers de tout genre, et ses dépendances formaient ce qu’aujourd’hui nous appelons une ferme modèle ; il y avait là des exemples d’industrie et d’activité pour le laboureur, l’ouvrier, le propriétaire. Ce fut, selon toute apparence, l’école