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à l’état d’usage, et l’administration urbaine. Le christianisme imposa aux nouveaux dominateurs, le droit usuel maintint parmi les indigènes les mœurs et les pratiques de la vie civile, et la municipalité, gardienne de ces pratiques, les entoura, en leur prêtant, comme une garantie de durée, la force de son organisation.

Après la fin des grandes luttes du ive et du Ve siècle, soit entre les conquérans germains et les dernières forces de l’empire, soit entre les peuples qui avaient occupé différentes portions de la Gaule, lorsque les Franks sont restés seuls maîtres de ce pays, deux races d’hommes, deux sociétés qui n’ont rien de commun que la religion, s’y montrent violemment réunies, et comme en présence, dans une même agrégation politique. La société gallo-romaine présente, sous la même loi, des conditions très diverses et très inégales ; la société barbare comprend, avec les classifications de rangs et d’états qui lui sont propres, des lois et des nationalités distinctes. On trouve dans la première des citoyens pleinement libres, des colons ou cultivateurs attachés aux domaines d’autrui, et des esclaves domestiques privés de tous les droits civils ; dans la seconde, le peuple des Franks est partagé en deux tribus ayant chacune sa loi particulière ; d’autres lois, entièrement différentes, régissent les Burgondes, les Goths et les autres populations teutoniques, soumises de gré ou de force à l’empire frank, et, chez toutes aussi bien que chez les Franks, il y a au moins trois conditions sociales : deux degrés de liberté et la servitude. Entre ces existences disparates, la loi criminelle du peuple dominant établissait, par le tarif des amendes pour crime ou délit contre les personnes, une sorte de hiérarchie, point de départ du mouvement d’assimilation et de transformation graduelle, qui, après quatre siècles écoulés du Ve au Xe, fit naître la société des temps féodaux. Le premier rang dans l’ordre civil appartenait à l’homme d’origine franke et au Barbare vivant sous la loi des Franks ; au second rang était le Barbare vivant sous sa loi originelle ; puis venait l’indigène libre et propriétaire, le Romain possesseur, et, au même degré, le Lite ou colon germanique, puis le Romain tributaire, c’est-à-dire le colon indigène ; puis enfin l’esclave sans distinction d’origine.

Ces classes diverses, que séparaient, d’un côté, la distance des rangs, de l’autre, la différence des lois, des mœurs et des langues, étaient loin de se trouver également réparties entre les villes et les campagnes. Tout ce qu’il y avait d’élevé, à quelque titre que ce fût, dans la population gallo-romaine, ses familles nobles, riches, industrieuses, habitaient les villes, entourées d’esclaves domestiques ; et, parmi les hommes de cette race, le séjour habituel des champs n’était que pour les colons demi-serfs et pour les esclaves agricoles. Au contraire, la classe supérieure des hommes de race germanique était fixée à la campagne, où chaque famille libre et propriétaire vivait sur son domaine du travail des lites qu’elle y avait amenés, ou des anciens colons qui en dépendaient ;