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Grégoire de Tours et par les chroniqueurs des monastères. A la fin du VIe siècle, des chaleurs précoces et longues amenaient presque chaque année des floraisons et des fructifications hâtives, ou des floraisons et des fructifications multiples. En 580, les arbres fleurirent au mois de septembre ou d’octobre ; en 582, ils fleurirent au mois de janvier ; en 584, on eut des roses dans le même mois, etc. » Suivent quatre autres faits du même genre. — En se figurant trouver dans Grégoire de Tours une série d’observations très suivies, et en voulant baser une théorie sur ces prétendues observations, M. Fuster, a commis une singulière méprise. Les chroniqueurs du moyen-âge, qui cherchaient toujours dans les phénomènes astronomiques et météorologiques l’annonce des événemens futurs, mentionnaient uniquement les faits sortant de l’ordre naturel : il est facile de s’en convaincre, en lisant un des passages que cite plus haut M. Fuster. « En cette année, dit Grégoire de Tours (liv. VI, ch. 44), il apparut dans les Gaules de nombreux prodiges (prodigia), et de nombreuses calamités affligèrent les peuples, car on vit des roses au mois de janvier, etc. » Ainsi les faits que Grégoire appelle des prodiges, M. Fuster nous les donne comme indiquant l’état normal du climat. De ce que les historiens de ces siècles d’ignorance ont mentionné à l’occasion la naissance d’enfans à deux têtes ou sans bras, l’apparition de géans, etc., il serait tout aussi logique d’en conclure que la race humaine était jadis autrement conformée qu’elle ne l’est aujourd’hui. Cependant, avec un peu d’attention, M. Fuster aurait pu s’apercevoir qu’il faisait fausse route, car, bien que la chronique qu’il a citée embrasse, à partir du deuxième livre, le long espace de cent soixante-quatorze ans, il n’a pu parvenir à en extraire que les sept ou huit faits mentionnés plus haut.

Nous nous garderons bien de suivre M. Fuster dans la discussion des preuves qu’il a voulu tirer de la culture de la vigne : quoi qu’il en dise, il n’est certainement pas besoin de recourir à l’hypothèse du changement de climat pour expliquer comment, après la conquête romaine, la vigne s’étendit peu à peu dans toutes les parties de la Gaule. Ce ne fut là qu’une des conséquences nécessaires et immédiates des progrès de l’agriculture et de la civilisation. Si des vignobles existant au moyen-âge ont actuellement disparu, c’est que maintenant les frais de cette culture coûteuse ne seraient plus compensés par les produits, tandis qu’il n’en était pas de même il y a sept ou huit siècles. A mesure que les relations commerciales, prenant un plus grand développement, facilitèrent l’échange des productions du nord et du midi, à mesure que les agriculteurs devinrent plus éclairés et plus intelligens, c’est-à-dire à mesure que l’on se rapprochait de notre époque, on vit la culture de la vigne être peu à peu abandonnée dans les pays tels que la Bretagne et la Normandie, où elle devenait chaque jour de plus en plus improductive.

En résumé, M. Fuster avait entrepris de résoudre une question à peu près insoluble : au moyen de textes mal interprétés, d’assertions gratuites et que rien ne justifie, il est parvenu à composer un livre qui, au premier abord, offre toutes les apparences de l’érudition consciencieuse. Pour nous, après un examen approfondi, nous devons déclarer que toutes les conclusions de l’auteur sont inadmissibles, et nous regrettons qu’il ait perdu, sur un sujet aussi mal choisi, un temps qu’il aurait été facile d’employer d’une manière plus profitable pour la science.