Page:Revue des Deux Mondes - 1846 - tome 14.djvu/505

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

un plus audacieux que jamais. Il parle avec une assurance qui annonce qu’il croit la victoire certaine, s’il est attaqué, ou s’il se décide à attaquer. Et, en effet, les trois directeurs n’ont plus la moindre inquiétude sur le moment actuel. Ils défient tout, ils bravent et provoquent partout ; ils ne placent que des hommes dévoués ; ils destituent, dans le militaire comme dans les administrations, tous ceux sur lesquels ils ne comptent pas absolument ; ils se sont déterminés à ne faire aucun cas de toute opinion qui n’est pas celle de leur parti. Ils redoutent bien les journaux, qui sont presque tous contre eux et pour les conseils ; mais ils ne laissent pas pénétrer les journaux jusqu’aux armées, qui sont aujourd’hui à leurs yeux tout le peuple français, et, pour tâcher de contrebalancer cette influence des journaux, ils commencent à multiplier les écrits et surtout les placards en sens contraire, et mis à la portée du vulgaire. Ils voudraient bien réchauffer dans la multitude le fanatisme révolutionnaire, mais jusqu’ici dans Paris (car c’est de là que tout dépend et a dépendu depuis la révolution) la multitude, sans appeler l’ancien régime, comme on le suppose à tort, reste inerte et indifférente entre tous les partis.

« Nous sommes, en un mot, dans une situation sous plusieurs rapports pareille à celle qui précéda et suivit le 31 mai, lorsque le parti qui avait pour lui l’immense majorité nationale fut vaincu par la minorité détestée, mais active, fanatique et résolue à tout. S’il y avait un combat, le résultat serait le même après des résistances qui ne seraient pas plus efficaces que l’insurrection départementale d’alors ; la différence est qu’au lieu du régime révolutionnaire, nous aurions le régime militaire, qui serait aussi dur, mais moins sanglant, jusqu’à ce que la guerre civile vînt à éclater entre les généraux divisés. »

Nous avons cité assez longuement cette curieuse lettre, parce qu’elle trace un tableau fidèle de la situation intérieure, et que les conséquences du coup d’état du 18 fructidor y sont prévues avec une grande justesse.

La nouvelle révolution de Paris fut, comme nous l’avons dit, fatale à la négociation. Maret et ses collègues furent rappelés et remplacés par Treilhard et Bonnier d’Alco. Après quelques pourparlers, les nouveaux commissaires demandèrent à lord Malmesbury s’il avait des pouvoirs suffisans pour stipuler la restitution à la république et à ses alliés de toutes les possessions conquises par l’Angleterre, et, sur sa réponse négative, ils lui signifièrent qu’il eût à se retirer dans les vingt-quatre heures vers sa cour pour aller chercher ces pouvoirs.

Lord Malmesbury quitta Lille le 18 septembre. Canning écrivait le 19 à un de ses parens cette courte note :

« Voulez-vous savoir de mauvaises nouvelles avant tout le monde, sous la condition de n’en rien dire de tout le jour ?