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Pein montra à M. Ellis une lettre de Barthélemy dans laquelle il disait « Comment, avec du sens commun, peut-on insister sur un raisonnement aussi absurde, dans un temps où la paix nous est absolument nécessaire, et où nous sommes sûrs de la faire glorieuse ? Cependant cela est. Vous ne sauriez vous figurer la jalousie, les sottes préventions de certaines gens. » C’est à Maret que cette lettre était adressée. M. Canning envoyait aussi à M. Ellis copie d’une petite note écrite par Talleyrand à un de ses amis d’Angleterre, M. Robert Smith, et qui disait :

« J’ai reçu aujourd’hui seulement le résultat des conférences de Lille depuis vos dernières dépêches. Il est vrai que je le connaissais un peu avant.

« Je suis prêt, et aujourd’hui je me mettrai en campagne. Ce soir j’aurai une idée, sinon une résolution.

« J’ai bonne volonté, mais j’ai beaucoup à réparer et à faire. Il faut prendre patience. Adieu. »

En même temps, l’agent secret protestait tellement des intentions pacifiques et de Maret et de Talleyrand et de Barthélemy, que les Anglais ne pouvaient s’empêcher d’y croire, et M. Ellis écrivait à Canning : « Sérieusement, ce directoire est un corps si singulier, et cette nation est une nation si étrange, que j’ai encore des doutes ; mais pourtant cette lettre contient des motifs raisonnables d’espérer. »

Les doutes de M. Ellis et ceux de lord Malmesbury n’étaient pas sans fondement, car, malgré leurs protestations et leur bonne volonté peut-être, les agens de la négociation secrète n’aboutissaient à aucun résultat positif. La lutte engagée à Paris ôtait toute sécurité à leurs démarches. Le parti militaire paraissait prêt à se porter à toutes les extrémités. Le progrès de cette lutte est curieux à suivre dans les dépêches de lord Malmesbury : « D’après la position des deux grands partis dans ce pays, écrivait-il à lord Grenville, on pourrait croire que Paris doit être à ce moment dans un état d’appréhension et d’alarme. Tout au contraire, la plus grande dissipation y règne. On dirait que la politique du directoire est d’essayer d’arracher les esprits de la nation à toute réflexion, en lui donnant toute sorte d’amusemens pour captiver soit son amour du plaisir, soit sa curiosité, et la légèreté incurable des Français le sert beaucoup en cette occasion. Il règne cependant une profonde inquiétude parmi les hommes d’argent et les négocians sérieux. Ils redoutent la continuation de la guerre, sachant bien que la seule ressource du pays est un emprunt forcé… En fait, dans l’état présent des partis, ils semblent avoir oublié qu’ils ont un ennemi étranger. »

Le temps se passait ainsi dans des alternatives d’espérance et de découragement. M. Ellis avait avec Pein de nombreuses entrevues, dans lesquelles celui-ci faisait toujours bon marché du directoire ; mais rien de positif ne sortait de ces éternels pourparlers. Maret venait, au spectacle,