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de cette communication, il fut convenu qu’une conférence aurait lieu le soir même entre M. Ellis et Pein. Dans cette entrevue, Pein déclara « que les opinions de Maret sur tous les sujets politiques étaient très différentes de celles des autres plénipotentiaires, qu’il était l’ami intime de Barthélemy (un des directeurs) qui l’avait fait nommer un des commissaires pour traiter de la paix avec l’Angleterre, que par conséquent ses sentimens ne pouvaient être douteux, car il était bien connu que Barthélemy désirait sincèrement le rétablissement de la paix. » Pein ajouta que Maret n’avait pas grande confiance dans la bonne volonté du directoire, mais que l’opinion publique était pour la paix, et que l’important était de gagner du temps.

Les communications secrètes s’établirent ainsi rapidement. Lord Malmesbury eut une preuve de l’intelligence qui régnait réellement entre Maret et Pein par un signe convenu entre eux. Maret prenait son mouchoir dans une poche, le passait sur sa figure, puis le remettait dans l’autre poche. Il y avait aussi des noms de convention dont lord Malmesbury se servait dans sa correspondance. Letourneur s’appelait sir Gregory ; Pein, Henri ; Maret, William ; Talleyrand, Edward. Cette seconde négociation fut aussi cachée à la plus grande partie des membres du cabinet anglais. M. Pitt seul avec lord Grenville, ministre des affaires étrangères, et M. Canning en eurent connaissance. Cela était souvent fort embarrassant pour lord Malmesbury, obligé d’écrire deux dépêches, une pour ceux qui étaient dans le secret, et l’autre pour le reste du cabinet.

A la même époque, il y eut un remaniement dans le ministère français. Pléville le Peley fut rappelé de Lille pour être fait ministre de la marine, et, ce qui était plus important, Delacroix, qui avait toujours manifesté des dispositions si peu conciliantes, fit place, dans le département des affaires étrangères, à Talleyrand[1]. Néanmoins le parti de la révolution et de la guerre dominait encore dans le directoire, où Barras, Rewbell et Laréveillère-Lépaux formaient la majorité contre Carnot et Barthélemy. La lutte s’engageait de plus en plus entre eux et les conseils. Barthélemy écrivait à Maret que Paris était dans une crise abominable, et, jusqu’à ce qu’on en fût sorti, il était difficile de négocier sérieusement. Aussi lord Malmesbury écrivait-il à Londres que le sort de la négociation dépendait bien moins des conférences de Lille que de ce qui pouvait survenir à Paris.

Barthélemy et Maret désavouaient les prétentions émises par le directoire au sujet des engagemens secrets avec l’Espagne et la Hollande.

  1. Nous devons faire observer que, si nous disons simplement Talleyrand, Maret, etc., c’est pour ne pas faire d’anachronismes, tout le monde, à l’époque dont il s’agit, s’appelant uniformément citoyen.