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la France. Nous savons que l’opinion contraire a été répandue et s’est établie sous les autorités les plus populaires, et qu’elle a prévalu jusqu’ici presque sans contrôle ; mais des témoignages nombreux, qui ne sont nulle part plus positifs que dans les mémoires dont nous parlons en ce moment, ne peuvent laisser aucun doute sur les intentions réelles de l’homme d’état qui gouvernait alors l’Angleterre, et en présence de pareilles preuves c’est un devoir à remplir envers la vérité et la conscience historiques que de rétablir l’exactitude des faits.

Nous sommes loin, du reste, de vouloir attribuer ces dispositions de M. Pitt à un sentiment d’amitié pour la France. Cet homme célèbre, qui, comme son père, lord Chatham, portait le sentiment national jusqu’à l’exaltation romaine, était animé en cette occasion, comme en toutes les autres, par l’intérêt de l’Angleterre. Qu’on se rappelle en quelle situation se trouvait alors la Grande-Bretagne. Elle avait perdu presque tous ses alliés, dont plusieurs étaient devenus ses ennemis. Paul Ier, qu’on croyait un ami de la France, venait de monter sur le trône de Catherine. L’expédition française en Irlande avait échoué, il est vrai, et le tout s’était borné, comme le disaient les faiseurs d’esprit de Paris, à une insurrection de pommes de terre ; mais l’état intérieur de l’Angleterre n’en était pas moins effrayant. Elle pliait déjà sous le poids d’une dette énorme ; Pitt faisait suspendre, par un ordre du conseil privé, les remboursemens en numéraire, et faisait, quelque temps après, consacrer cette mesure radicale par une loi.

Ce n’est pas tout : à ce moment, la convulsion intérieure la plus grave peut-être que l’Angleterre ait jamais eu à subir éclatait dans les fondemens même de sa puissance, dans sa marine. Une révolte se déclarait presque en même temps dans l’escadre de Porstmouth et celle de la Nore. Pendant plusieurs semaines, les rebelles, maîtres absolus de la flotte, le furent aussi de la fortune de l’Angleterre. La tempête passa, mais le gouvernement anglais dut se souvenir avec terreur du danger qu’il avait couru.

L’Angleterre avait donc besoin de la paix. La voix publique la demandait, et M. Pitt la désirait sérieusement. Ce fut lui qui voulut recommencer les négociations ; lord Grenville, le ministre des affaires étrangères, combattit longuement son opinion, mais Pitt persista, déclarant à plusieurs reprises « qu’il était de son devoir, et comme ministre anglais et comme chrétien, de faire tous les efforts possibles pour mettre un terme à une guerre aussi sanglante. »

Pendant tout le cours de la négociation de lord Malmesbury, on voit se continuer cette lutte intestine entre lord Grenville et Pitt, qui avait pour confident, pour interprète et pour auxiliaire, M. Canning. Il y a, dans les papiers de lord Malmesbury, une lettre de George Canning à M. Ellis, un des attachés à la mission, qui est une preuve éclatante de