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nous réparons aujourd’hui cette négligence. L’Europe savante travaille depuis cinquante ans à se mettre en possession de la pensée philosophique des anciens dans toutes ses profondeurs et dans tous ses détails. Aujourd’hui la philosophie antique est en présence du christianisme, qui n’existait pas quand elle produisit ses plus grands systèmes ; elle est aussi en présence du judaïsme, qui n’est pas mort, de cet ancien hébraïsme qui n’a pas voulu suivre les nouveautés de saint Paul ; elle est en face également des doctrines mieux connues de l’Orient, qui s’ouvre de plus en plus chaque jour à la curiosité et aux armes de l’Europe ; enfin elle comparaît devant le génie moderne, qui la juge avec une complète indépendance. Tous ces élémens exercent les uns sur les autres une réelle influence, et ce travail prépare lentement des modifications profondes dans les croyances et les idées religieuses. Quand on se fie à cette inévitable puissance du temps, on est peu touché par certaines polémiques de notre époque, avec leur bruyante stérilité. C’est en dehors de ces mesquines agitations que les choses nécessaires et bonnes s’accomplissent. Il y a seize siècles que Tertullien s’écriait, en accusant la philosophie antique d’avoir enfanté toutes les hérésies qui menaçaient l’église naissante : « Qu’y a-t-il de commun entre Athènes et Jérusalem, entre l’académie et l’église, entre les hérétiques et les chrétiens ? Nous avons été élevés, nous, dans le portique de Salomon, qui nous a enseigné à chercher Dieu dans la simplicité du cœur. A quoi songeaient donc ceux qui ont voulu nous composer un christianisme stoïcien, platonicien, dialecticien[1] ? » Tertullien demande ce qu’il y a de commun entre Athènes et Jérusalem : il y a l’esprit humain. Depuis Tertullien, la question s’est déplacée, elle s’est étendue. Sans méconnaître les différences des systèmes tant religieux que philosophiques, la science européenne constate leurs analogies fondamentales. Dans tous les climats, à tous les momens de l’histoire, l’homme poursuit deux choses, le bonheur et la vérité. Si partout l’ambition est la même, pourquoi le résultat est-il si divers ? De cette diversité, de cette anarchie, il faut accuser l’espace, le temps et le tempérament de l’homme. Cependant la nature morale suffit non-seulement pour tenir l’équilibre, mais pour emporter la balance : elle maintient l’unité de la race humaine dans ses passions, dans ses croyances, dans ses pensées. Appuyer sur cette unité ses recherches scientifiques et ses convictions religieuses, c’est être vraiment spiritualiste.


LERMINIER.

  1. « Quid ergo Athenis et Hierosolymis ? quid academiae et ecclesiae ? quid haereticis et christianis ? Nostra institutio de porticu Salomonis est, qui et ipse tradiderat Dominum in simplicitate cordis esse quaerendum. Viderint qui et stoicum, et platonicum, et dialecticum christianismum protulerunt. » Tertulliani de praescriptionibus adversus haereticos. (Cap. VII.)