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pour aller s’enfoncer aussi avant que jamais dans les plus ténébreuses régions du naturalisme païen. » L’érudition de M. Ravaisson est puisée aux sources non-seulement avec la pénétration d’un métaphysicien, mais avec le goût d’un homme qui aime l’antiquité et la connaît bien. La variété de cette érudition répand avec discernement dans un sujet austère d’intéressantes citations d’historiens et de poètes. A la compétence philosophique M. Ravaisson joint une véritable distinction littéraire. Avec de tels avantages, il peut marcher avec courage au but qu’il s’est proposé : seulement il doit être en garde contre certains penchans de son esprit. S’il est bon d’être systématique, il ne faut pas vouloir tout soumettre à une symétrie, à une uniformité qui n’admet ni divergences, ni exceptions. Il est sans doute pour tous les faits de l’ordre moral et physique une explication légitime que l’esprit de l’homme trouve tôt ou tard ; mais il ne faut pas vouloir tout expliquer avec la même idée, tout ouvrir avec la même clé. Ces réflexions nous sont suggérées par le désir sincère qui nous anime, que dans quelques années les efforts persévérans de M. Ravaisson soient récompensés par un grand résultat : nous aurions tant de plaisir à en voir sortir une belle et véridique histoire du péripatétisme ! Magnifique sujet où tous les intérêts se rencontrent, les intérêts de la philosophie, comme ceux de la religion, comme ceux des sciences, où toutes les civilisations viennent comparaître, où les sectateurs de Moïse et de Mahomet se joignent aux chrétiens pour commenter cet Aristote qui siège encore en maître aujourd’hui entre Cuvier et Hegel !

Elle n’a donc pas disparu du monde cette philosophie antique qu’une injuste proscription avait bannie d’Athènes. Elle a reparu la veille du jour où la pensée moderne devait, au XVIe siècle, commencer péniblement à se connaître, à s’affranchir ; elle a reparu pour lui être non pas un obstacle, mais un aiguillon. Devant les restes mutilés de la sculpture antique, de ces statues arrachées, après des siècles, aux entrailles du sol romain, Michel-Ange sentait grandir son génie : les penseurs modernes devaient recevoir de la philosophie antique de non moins fécondes inspirations. D’abord ce furent les érudits qui accueillirent l’illustre exilée. Que de joie, que de nobles plaisirs dans Rome et dans Florence ! On y lit avec ravissement, avec transport, ce que les langues grecque et latine ont produit de plus beau, de plus aimable. Platon et Cicéron y deviennent presque des dieux. Dans cette antiquité interrogée avidement, chacun choisit, exalte et défend avec ardeur l’objet de son culte. Le stoïcisme trouve un historien dans Juste Lipse, le péripatétisme, non plus celui du moyen-âge, un courageux propagateur dans Pierre Pomponace. Plus tard Gassendi ressuscite Épicure, et Leibnitz s’empare d’Aristote. Si, dans l’enivrement de lui-même, le XVIIIe siècle n’accorde à la philosophie antique qu’une attention légère,