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Notre ami avait toujours ce grand passé littéraire devant les yeux ; il aimait ces choses désintéressées en elles-mêmes et s’y absorbait avec oubli. Nous ne le suivrons point ici pas à pas dans la série d’articles qu’il laissa échapper durant les premières années, et qui n’étaient que le trop plein de ses études constantes. Son fonds acquis sur les sermonnaires du moyen-âge lui fournit matière à de piquantes appréciations de Michel Menot et des autres prédicateurs dits macaroniques. Il donna nombre de morceaux sur l’époque Louis XIII. En même temps, par ses portraits de M. Raynouard et de Népomucène Lemercier ; il abordait avec bonheur ce genre délicat de la biographie contemporaine, et contribuait pour sa part à l’élargir.

Autrefois il existait deux sortes de notices littéraires : l’une toute sèche et positive, sans aucun effort de rhétorique et sans étincelle de talent, la notice à la façon de Goujet et de Niceron, aussi peu agréable que possible et purement utile ; elle gisait reléguée dans les répertoires tout au fond des bibliothèques : et puis il y avait sur le devant de la scène et à l’usage du beau monde la notice élégante, académique et fleurie, l’éloge ; ici les renseignemens positifs étaient rares et discrets, les détails matériels se faisaient vagues et s’ennoblissaient à qui mieux mieux, les dates surtout osaient se montrer à peine : on aurait cru déroger. J’indique seulement les deux extrémités, et je n’oublie pas que dans l’intervalle, entre le Niceron et le Thomas, il y avait place pour l’exquis mélange à la Fontenelle. Pourtant, chez celui-ci même, l’extrême sobriété faisait loi. On a tâché de nos jours (et M. Villemain le premier) de fondre et de combiner les deux genres, d’animer la sécheresse du fait et du document, de préciser et de ramener au réel le panégyrique. Ce genre, ainsi développé et déterminé, a parcouru en peu d’années ses divers degrés de croissance, et Charles Labitte, on peut le dire, l’a poussé au dernier terme du complet dans une ou deux de ses biographies, dans celle sur Marie-Joseph Chénier particulièrement. Il était infatigable à féconder un champ qui, en soi, a l’air si peu étendu, et à en tirer jusqu’à la dernière moisson. Il ne se bornait pas aux simples faits principaux ni à l’analyse des ouvrages, ni même à la peinture de la physionomie et du caractère ; il voulait tout savoir, renouer tous les rapports du personnage avec ses contemporains, le montrer en action, dans ses amitiés, dans ses rivalités, dans ses querelles ; il visait surtout à ajouter par quelque page inédite de l’auteur à ce qu’on en possédait auparavant. Qu’il n’ait pas été quelquefois entraîné ainsi au-delà du but et n’ait pas un peu trop disséminé ses recherches, au point d’avoir peine ensuite à les resserrer et à les ressaisir dans son récit, je n’essaierai nullement de le nier ; mais il n’a pas moins poussé sa trace originale et vive, il n’a laissé à la paresse de ses successeurs aucune excuse, et il ne sera plus permis après lui de faire les notices écourtées et sèches