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Je savais un gré infini à mon hôte de m’avoir introduit dans son harem, mais je me disais en moi-même qu’un Français ne ferait jamais un bon Turc, et que l’amour-propre de montrer ses maîtresses ou ses épouses devait dominer toujours la crainte de les exposer aux séductions. Je me trompais encore sur ce point. Ces charmantes fleurs aux couleurs variées étaient non pas les femmes, mais les filles de la maison. Mon hôte appartenait à cette génération militaire qui voua son existence au service de Napoléon. Plutôt que de se reconnaître sujets de la restauration, beaucoup de ces braves allèrent offrir leurs services aux souverains de l’Orient. L’Inde et l’Égypte en accueillirent un grand nombre ; il y avait dans ces deux pays de beaux souvenirs de la gloire française. Quelques-uns adoptèrent la religion et les mœurs des peuples qui leur donnaient asile. Le moyen de les blâmer ? La plupart, nés pendant la révolution, n’avaient guère connu de culte que celui des théophilanthropes ou des loges maçonniques. Le mahométisme, vu dans les pays où il règne, a des grandeurs qui frappent l’esprit le plus sceptique. Mon hôte s’était livré jeune encore à ces séductions d’une patrie nouvelle. Il avait obtenu le grade de bey par ses talens, par ses services ; son sérail s’était recruté en partie des beautés du Sennaar, de l’Abyssinie, de l’Arabie même, car il avait concouru à délivrer des villes saintes du joug des sectaires musulmans. Plus tard, plus avancé en âge, les idées de l’Europe lui étaient revenues : il s’était marié à une aimable fille de consul, et, comme le grand Soliman épousant Roxelane, il avait congédié tout son sérail ; mais les enfans lui étaient restés. C’étaient les filles que je voyais là ; les garçons étudiaient dans les écoles militaires.

Au milieu de tant de filles à marier, je sentis que l’hospitalité qu’on me donnait dans cette maison présentait certaines chances dangereuses, et je n’osai trop exposer ma situation réelle avant de plus amples informations.

On une fit reconduire chez moi le soir, et j’ai emporté de toute cette aventure le plus gracieux souvenir ; — mais, en vérité, ce ne serait pas la peine d’aller au Caire pour me marier dans une famille française.

Le lendemain, Abdallah vint me demander la permission d’accompagner des Anglais jusqu’à Suez. C’était l’affaire d’une semaine, et je ne voulus pas le priver de cette course lucrative. Je le soupçonnai de n’être pas très satisfait de ma conduite de la veille. Un voyageur qui se passe de drogman toute une journée, qui rôde à pied dans les rues du Caire, et dîne ensuite on ne sait où, risque de passer pour un être bien fallacieux. Abdallah me présenta, du reste, pour tenir sa place, un barbarin de ses amis, nommé Ibrahim. Le barbarin (c’est ici le nom des domestiques ordinaires) ne sait qu’un peu de patois maltais.