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La constitution violée, ce n’était là que demi-mal, encore eût-on dû s’y prendre avec plus de mesure ; mais le crime qui, de l’aveu des Athéniens de Berlin, signalait bien un tyran, c’était ce mépris crûment affiché pour les ministres de la science. Le superbe monarque ne s’y épargnait pas : « Il est, disait-il, trois sortes de personnes qu’on peut avoir pour de l’argent, des chanteurs, des danseuses et des professeurs. » Le mot a blessé l’Allemagne entière, et ce péché-là ne sera point remis. Vainqueur aujourd’hui de tous les obstacles qui l’irritaient jadis, Ernest-Auguste voudrait faire oublier les torts de sa colère ; il visite Gœttingue, il caresse les hommes distingués qui ne l’ont pas abandonné, il leur promet de dignes collègues, il enrichit l’université ; rien ne la rassure : on est honteux et découragé presque autant que si l’on enseignait à Dorpat sous le joug des Russes, et tel honorable recteur s’est trouvé parfois aussi embarrassé des complimens officiels auxquels il était obligé que s’il eût harangué le tsar au nom de la pauvre université livonienne.

Ces dégoûts sont maintenant toujours plus cruels à mesure qu’il y a moins de mécontens pour les partager, car il ne faudrait pas se figurer la situation morale du Hanovre d’après ces sourds murmures de l’élite studieuse de Gcettingue ; il s’est fait depuis deux ou trois années un grand apaisement, et les rancunes populaires se sont assoupies ou éteintes plutôt qu’on ne l’aurait supposé. La force heureuse a toujours quelque chose qui subjugue ; elle finit sans doute par payer son triomphe, mais il arrive un moment où ce triomphe est complet, et l’on croirait que la nature humaine s’y prête d’elle-même, n’étaient ces ames courageuses dont la constance ramène tôt ou tard le vulgaire à la sûre notion du droit méconnu. Dans tout état de civilisation et de société, le vulgaire devient aisément complaisant pour qui l’a une fois dompté ; il s’excuse de sa propre bassesse en rehaussant son idole, et, le piédestal ainsi dressé, il n’est plus lâcheté si misérable qui ne passe pour adoration pieuse. On confesse avec une humilité volontaire sa grande indignité ; qu’eût-on fait vraiment de la chose publique ? On n’entendait plus à personne, et chacun tirait à soi ; le maître s’est présenté ; il était, ou si glorieux, ou si paternel, ou si fin ! Comment ne l’eût-on pas suivi ? et plus avant on le suivra, plus on exaltera ces perfides talens auxquels on obéit avec une docilité si méritoire. Peu s’en faut qu’on ne dise, comme dans la comédie : Et s’il ne plaît à moi qu’il me batte ? Tout au moins juge-t-on fort étranges ceux qui ne veulent pas être battus. C’est là pour l’instant l’esprit général de la population hanovrienne, et le caractère particulier du pays aide encore à la maintenir dans ces dispositions. Je ne crois pas qu’il y ait deux catégories parmi les nations, les unes faites pour la liberté, les autres pour la dépendance : le gouvernement de l’homme par lui-même est en tous lieux le droit commun de l’avenir ; mais la vie politique ne s’établit pas en tous lieux aussi facilement,