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le major Broadfoot, firent une grande impression sur la multitude superstitieuse, et je ne les rapporte ici que parce qu’elles sont sans doute l’expression de la manière de penser de la cour et de son entourage. »

La mort de Jowahir-Sing eut cependant le bon effet de retirer ranie Chanda de la voie de débauches et d’abrutissement où elle était entrée. Avec une force d’esprit dont beaucoup d’hommes ne sont point capables, elle renonça en même temps à l’intempérance, aux liqueurs fortes et à l’oisiveté, pour se remettre sérieusement aux affaires. On la retrouva énergique, active dans les audiences comme dans le conseil des chefs. Enfin elle n’eut plus d’autre amant que Lal-Sing, et, ce qui est peut-être une preuve plus remarquable de son bon jugement, elle ne songea point à le nommer ministre. Elle eût préféré partager le pouvoir avec Goulab-Sing, et fit même à celui-ci quelques avances ; mais ce chef, qui méprisait et détestait toute la cour, ne trouvait point dans le vizirat, à moins d’un pouvoir presque absolu, un appât suffisant pour accepter le rapprochement proposé. La ranie se décida donc à laisser l’autorité aux mains du Punchayet, qui serait peut-être parvenu à rétablir la tranquillité, si précisément à cette époque les mouvemens des Anglais sur la frontière n’étaient venus compliquer ses embarras en entretenant l’effervescence du peuple et de l’armée.

Depuis quelque temps, les courriers, les caravanes qui passaient la frontière, ne parlaient que de corps d’armée qui se réunissaient à Ambala, à Firozepour, à Loudianah. Un pont de bateaux préparé sur le Sutledge, diverses autres mesures significatives, faisaient regarder une invasion comme imminente. Quel qu’en fût le motif, l’esprit de conquête ou des prétentions de police internationale, les Sikhs n’étaient pas gens à l’attendre patiemment, et ils voulaient la prévenir en attaquant résolument le camp anglais. C’est en vain que le conseil des chefs s’efforce de contenir la multitude agitée et de lui persuader de ne donner aucun prétexte à l’ennemi en continuant à respecter son territoire : elle n’écoute rien et se précipite en tumulte sous les murs du palais, demandant à grands cris la reine. Celle-ci, sans s’émouvoir, admit aussitôt les meneurs dans la salle d’audience, et, contrairement à la coutume du pays, se présenta devant eux le visage découvert. — Que me voulez-vous ? leur dit-elle brusquement.

— Donnez-nous un vizir pour nous commander, et des munitions de guerre pour que nous marchions contre les ennemis du Khalsa, s’écrient cent voix de toutes parts.

— Et qui voudra être vizir, répond la ranie, quand vous avez massacré successivement tous ceux que je vous ai donnés ? Qu’avez-vous fait d’Hira-Sing et de Jowahir-Sing, et que feriez-vous demain de Lal-Sing, si je le nommais ? Obéissez au Panth, puisque vous l’avez nommé.