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anciennement les empereurs mogols. Ce palais, un des plus beaux et des plus somptueux que l’on connaisse, est renfermé dans la citadelle de la ville. Il est de granit rouge et a été construit par Firok-Shere. Vu de l’autre côté de la rivière, avec ses jardins élevés sur le toit, ce monument offre un aspect vraiment enchanteur ; on le prendrait pour le palais de Sémiramis. Ce toit en terrasse est orné d’un bout à l’autre d’un parterre planté de mille espèces des plus belles fleurs que produit ce pays où règne un printemps éternel. L’intérieur de l’édifice était autrefois orné d’or, de lapis-lazuli, de porphyre. On y voit encore de superbes glaces, des lustres, de moelleux tapis, des châles sur tous les meubles. C’était le palais de Rundjet, c’est celui de ranie Chanda. Le cortège funèbre de Jowahir-Sing part de ce palais pour se rendre au Shah-Dara : on appelle ainsi le magnifique mausolée élevé à une lieue de la ville à l’empereur Djehan-Ghir. Dans cette construction, qui occupe un carré de soixante-six pieds de côté, le marbre et le grès rouge s’unissent avec une agréable symétrie ; de belles mosaïques ornent les murailles et incrustent les larges dalles d’un pavé de granit. Entre ce monument et le tombeau de Nour-Djehan-Begom s’étend un vaste espace qu’on prendrait pour une arène. C’est là qu’on a préparé le bûcher qui doit consumer les restes mortels du frère de ranie Chanda.


« Dans les rues étroites qu’il faut d’abord parcourir avant de déboucher dans la campagne (dit le major Broadfoot), la foule qui se presse sur le passage du cortége est tellement épaisse, que pour un moment elle en arrête la marche et y jette la confusion. Deux compagnies de cipayes, qui figurent dans la procession, profitent de ce désordre pour se ruer sur les pauvres veuves et leur arracher les bijoux et les ornemens dont on les avait parées pour la circonstance et qui devaient être le partage des prêtres sacrificateurs. Or, les sutties, c’est-à-dire les veuves, en montant sur le bûcher, deviennent des êtres sacrés sur lesquels descend, au moment du sacrifice, un rayon de la Divinité. Leurs dernières paroles sont prophétiques. Heureux ceux qui en sont bénis, malheur à ceux qu’elles maudissent ! La ranie, le maharaja, toute la foule pieuse, se prosternent devant elles pour obtenir leur bénédiction. »


Sous l’impression sans doute des traitemens divers qu’elles viennent de recevoir des uns et des autres, les veuves de Jowahir élèvent la voix pour bénir la ranie Chanda et son fils, et pour maudire l’armée sikhe. On leur demande quelles seront les destinées prochaines du Pendjab : elles déclarent qu’avant l’expiration de cette même année le Pendjab aura perdu son indépendance, que la secte religieuse des Sikhs sera vaincue et asservie, que les femmes des soldats du Khalsa pleureront leurs époux, et qu’enfin le pays sera désolé. Quant à la ranie et à son fils, ils auront une longue et heureuse vie, ils continueront à régner sous la protection d’une puissance étrangère. « Ces prophéties, ajoute