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offensive et défensive qu’on avait conclue avec Rundjet. En deux mots, il s’agissait de prévenir toute occasion de querelle et d’avoir le Sutledge pour limite bien définie entre les deux états. Ces deux propositions n’avaient rien que de fort juste et de fort modéré, mais elles étaient de nature à éveiller la susceptibilité des Sikhs. Il fallait, pour les faire réussir, non-seulement beaucoup d’adresse de la part du major Broadfoot, mais aussi, de la part du gouvernement de Lahore, une attention aux affaires, un tact et des ménagemens vis-à-vis des troupes dont celui-ci était incapable.

Nous reprenons la correspondance officielle, qui nous fera connaître suffisamment la conduite de cette négociation.


« 18 juin. — Jowahir-Sing et Lal-Sing ont passé les journées du 14 et du 15 en tentatives pour s’assassiner l’un l’autre. C’est Jowahir qui a été l’agresseur, et la cause de son ressentiment est le redoublement de passion de la ranie pour Lal-Sing depuis que celui-ci a failli mourir du choléra.

« 20 juin. — Goulab-Sing, Jowahir-Sing et Lal-Sing sont tous trois à Lahore, fort occupés de divers plans pour s’assassiner réciproquement. Avant-hier, c’étaient les deux premiers, hier les deux seconds, qui se réunissaient contre le troisième, aujourd’hui c’est le premier et le troisième contre le second ; mais c’est très difficile à arranger, parce que chacun voudrait être le seul survivant. Sur ces entrefaites, un des paramours de la reine s’est sauvé ces jours derniers, emportant pour la valeur d’un lac de roupies (250,000 francs) de ses bijoux. Cette anecdote a beaucoup amusé les uns et a fort scandalisé les autres, suivant que les gens étaient disposés à prendre la chose au comique ou au sérieux.

« 8 juillet. — On est assez tranquille à Lahore. Le temps se passe en intrigues amoureuses, et surtout en fêtes et en orgies ; mais notre négociation ne marche pas. »


Dans l’intervalle du 8 juillet au 5 août, le major Broadfoot, ne pouvant obtenir de réponse aux propositions du gouverneur-général, avait dû prendre une attitude menaçante et demander ses passeports. Dorénavant il écrit sur les renseignemens qui lui sont fournis de Lahore par ses vakils ou secrétaires de légation indigènes.


« 5 août. — La situation des partis est changée. Le fait est que l’intelligence de la ranie a baissé sensiblement depuis quelque temps par suite de ses excès. De gaie et de très spirituelle qu’elle était, elle est devenue lourde et stupide. Quelquefois elle est des jours entiers dans un état qui ressemble à l’imbécillité, et bien qu’elle ait des momens lucides, surtout quand elle est stimulée par la boisson, elle ne prend plus que très peu d’intérêt aux affaires publiques. Quand elle s’en occupe, c’est pour se laisser guider dans ses résolutions par ses domestiques et par ce qu’il y a de plus vil parmi ses amans. Jusqu’à présent le petit nombre de gens sages qui restent encore à Lahore, tels que les trois fakirs et Bhai-Ram-Sing, protégeaient le gouvernement contre une dissolution par leur influence sur la ranie ; mais, dans l’état où se trouve aujourd’hui la princesse,