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moralité des Sikhs et leur bon goût en ces matières, car vous n’ignorez pas que Lal-Sing est un des amans de la ranie, et le plus favorisé. »


A une cour si bien absorbée par ses propres affaires il restait peu de temps pour les intérêts du pays. Le lendemain même de la réconciliation opérée entre Jowahir et Lal-Sing, le 14 juin, le major Broadfoot écrivait :


« On ne s’est encore pas occupé de nos propositions, qui sont arrivées à Lahore le 11 courant, et qui ont été remises le jour même ; mais Jowahir-Sing et ses mignons, ayant passé toute la nuit précédente en orgies avec la nouvelle esclave et d’autres filles de joie, étaient tous trop ivres pour assister à l’audience, de telle sorte qu’elle n’a pas eu lieu, et leurs secrétaires ont dû se disperser sans pouvoir expédier les affaires publiques. »


Quelles étaient ces propositions que le major Broadfoot était chargé de faire agréer au gouvernement de Lahore ? A en juger d’après les antécédens de la compagnie, bien des gens seraient disposés à croire qu’il s’agissait d’empiétemens projetés sur le territoire et sur l’indépendance du Pendjab ; cette fois, on se tromperait. D’abord ce n’était plus lord Ellenborough, mais sir Henry Hardinge, le représentant d’une politique tout opposée, qui présidait aux affaires de l’Inde. Puis, la compagnie, éclairée par les péripéties de la campagne de l’Afghanistan, par la facilité avec laquelle ses armées avaient parcouru tout l’espace compris entre l’Indus et Hérat sans y trouver les moyens de se fortifier contre les invasions possibles du nord-ouest, était bien loin de désirer une augmentation de territoire qui rapprocherait encore sa frontière de la Russie. Elle comprenait au contraire que de ce côté même était le plus grand danger, et qu’il fallait s’en tenir le plus loin possible. Elle souhaitait donc ardemment le rétablissement dans le Pendjab d’un ordre de choses un peu régulier qui ne la forçât point d’y intervenir, et surtout de s’y installer. Voyant toutefois l’anarchie se prolonger, elle commença à craindre, non sans raison, que la soldatesque, après avoir épuisé les trésors accumulés dans la capitale, ne se jetât sur le reste de l’empire, et, entre autres provinces, ne songeât à mettre au pillage cette partie du domaine privé de Rundjet-Sing qui se trouvait sur la rive gauche du Sutledge. Ce pouvait être une occasion de conflit entre ses sujets et ceux du Khalsa, les limites respectives étant mal définies, et c’était surtout ce conflit qu’elle voulait éviter. Elle avait donc chargé le major Broadfoot de demander d’abord, et d’exiger en cas de nécessité, la réduction de l’armée sikhe à un chiffre proportionné aux besoins et aux ressources du Pendjab ; en second lieu, de solliciter l’abandon au gouvernement anglais du domaine en litige, moyennant certaines compensations, et en offrant le renouvellement de l’alliance