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un jeu des révolutions, qui ne pouvait se rassasier de sang et de pillage, s’arrête tout à coup dans cette voie fatale, comme éclairée par une conviction subite. On dirait que, lasse enfin de crimes et voyant sa propre ruine au bout de ses désordres, elle veut les expier en faisant le sacrifice de cette liberté dont elle a tant abusé, et en s’imposant à elle-même la discipline avec la forme républicaine. Elle qui semblait avoir pris pour modèle les prétoriens de l’ancienne Rome, élevant aujourd’hui ses officiers pour les égorger demain, reconnaît tout à coup la nécessité d’une hiérarchie stable dont elle se compose définitivement une administration militaire représentative. Remontant aux principes des instituts de Baba-Nanek et de Gourou-Govind, elle choisit de préférence le régime du Khalsa, en vigueur avant l’établissement de la royauté de Rundjet, alors que les Sikhs n’étaient qu’une grande confédération guerrière, gouvernée par un conseil de chefs appelé le Panth : organisation énergique et simple, qui, puisant une double force dans la concentration. du pouvoir et dans la sagesse collective d’une assemblée, nous donne le secret de l’étonnante résistance que les Sikhs ont opposée dans ces derniers temps aux armes de l’Angleterre.

De tristes jours précédèrent, il est vrai, cette réaction glorieuse. Après la mort d’Hira-Sing, six mois se passèrent, pendant lesquels l’armée fut livrée à une désorganisation complète, et le gouvernement confié aux plus indignes mains. Rien ne saurait donner un tableau plus exact de l’état du pays pendant cette courte période, et nous mieux initier en même temps à la vie publique et privée de sanie Chanda, que la correspondance diplomatique de l’agent anglais à la cour de Lahore, le major Broadfoot, avec le gouvernement de l’Inde[1]. Les dépêches de cet agent nous introduisent dans le palais, au sein même des intrigues de la cour et au milieu de ses plus secrètes orgies. C’est guidé par le major Broadfoot que nous assisterons aux derniers événemens dont cette partie de l’Inde a été le théâtre, et que nous suivrons aussi, dans sa phase la plus curieuse, la destinée singulière dont nous avons retracé les premières agitations.

On connaît déjà Jowahir et Lal-Sing, l’un le frère, l’autre l’amant de la ranie, et tous deux se disputant le pouvoir. Nous prendrons les dépêches de l’agent anglais au moment où une réconciliation vient d’être opérée entre les deux rivaux.


« La ranie (écrivait le 13 juin 1845 M. Broadfoot) est parvenue à effectuer une réconciliation entre Jowahir et Lal-Sing. Elle leur en a marqué sa satisfaction en leur envoyant à chacun, pour leurs menus plaisirs, une belle esclave, d’un choix qu’elle vient de recevoir de son voisin le raja de Mondi. Telle est la

  1. Extraite des dépêches soumises au parlement d’Angleterre par sir Robert Peel en mars 1846.