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Ce n’était pas seulement à la cour et dans la capitale que se trouvaient des chefs dont l’influence pouvait être redoutable. Il y en avait dans le reste de l’empire, et parmi eux le plus important sous tous les rapports était Goulab-Sing. Du vivant de son frère Dhyan, on doutait de ses talens[1], parce qu’il avait des qualités moins brillantes et qu’il ne possédait pas le don de la parole : il avait aussi une fâcheuse réputation de cruauté ; mais l’expérience des dernières années a prouvé à tout le monde qu’on s’était trompé dans l’une et l’autre appréciation. A travers une longue anarchie et pendant le cours de dissensions civiles où chacun a plus ou moins trempé ses mains dans le sang, il est le seul qui n’ait jusqu’ici aucun crime à se reprocher. Le plus souvent enfermé dans sa forteresse inaccessible de Jamou, entouré de ses fidèles montagnards, il observait de loin les orages qui battaient le vaisseau de l’état, orages qu’il n’avait point soulevés, mais dont il espérait profiter quelque jour, quand l’épuisement de tous les partis ferait désirer à tous la présence au gouvernail d’une tête ferme et d’une main forte. Deux fois seulement depuis la mort d’Hira-Sing, il s’est laissé persuader de venir à Lahore. La première fois, on était venu le chercher à main armée pour lui imposer le pouvoir : il avait d’abord repoussé la force par la force ; puis, changeant soudain de résolution, il avait accepté la mission qu’on lui proposait en se plaçant avec une confiance chevaleresque, seul et sans armes, au milieu de ceux qu’il venait de vaincre. Ce trait d’héroïsme faillit lui coûter la vie. La ranie et son frère ne reculèrent devant aucun moyen pour le faire assassiner ; mais l’opinion publique voyait en lui le dernier soutien, le dernier espoir de la nation, et, même dans l’enivrement de l’orgie ou dans le tourbillon de l’émeute, les soldats le protégeaient. Échappé à ce danger, il s’en retourna dans ses montagnes d’où il ne devait redescendre une dernière fois que pour sauver son pays en se posant comme médiateur entre les Sikhs vaincus et les Anglais irrités des difficultés de leur victoire. Sous des formes rudes et grossières, sous le manteau d’un soldat, sous une physionomie épaisse et sombre, il cache une ame ardente, un courage inébranlable, une ambition immense, enfin un tact et une finesse à en remontrer à tout le grand-conseil de Calcutta.

Après Goulab-Sing, le chef le plus capable parmi ceux qui se tiennent éloignés de la capitale est Tej-Sing, long-temps gouverneur de la province de Peshawer, le même qui a commandé l’armée sikhe dans les grandes batailles de Ferozshall et de Sobraon. C’est un excellent officier et un partisan dévoué de Goulab.

A l’époque dont nous parlons, les partis représentés par ces différeras chefs pouvaient se réduire à trois principaux :

  1. Nous-même, dans notre Inde anglaise, sur des données alors incomplètes, nous avions fait un portrait de ce chef tout différent de celui que nous traçons ici.