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un débutant qui de sa vie n’aurait encore rien imprimé. Il donne à ses publications les titres qu’il croit les plus propres à attirer les chalands, de ces gros titres qui sautent aux yeux. L’an dernier c’était le Prêtre, aujourd’hui c’est le Peuple. Rien ne paraît à l’auteur assez vaste, assez retentissant, tant il est enflammé de zèle pour la propagation de ce qu’il appelle la vérité !

Ces passions si vives sont des plus respectables, car l’extrême bonne foi de l’écrivain en est tout ensemble la cause et la justification. Jusque dans ces dernières années, M. Michelet n’avait vécu que pour ses études et ses labeurs historiques ; des attaques, des calomnies absurdes, vinrent l’émouvoir ; peut-être eût-il dû les mépriser, il y répondit. Cette diversion appela l’attention de M. Michelet sur des questions auxquelles jusqu’alors il n’avait guère songé ; il les aborda avec l’ardeur d’un combattant qui cherche des armes contre ses adversaires, puis avec la joie d’un homme qui croit découvrir des vérités nouvelles. C’est ainsi que nous l’avons vu, dans son écrit du Prêtre, nous donner une édition un peu tardive de toutes les critiques qui, au XVIe siècle et au XVIIIe siècle, furent dirigées contre le catholicisme et contre l’église. Avec Luther ces critiques étaient nouvelles, avec Voltaire elles furent accablantes. Quand M. Michelet est venu les reproduire, le monde, les rapports réciproques de la religion et de la philosophie, tout avait changé.

Aujourd’hui la publication que M. Michelet a intitulée le Peuple témoigne d’une distraction plus forte du savant historien : là, il ne ressuscite plus ce qui fut écrit dans les trois derniers siècles ; il répète ce qui vient d’être dit autour de lui par des contemporains qu’il connaît, dont il apprécie le talent. Aussi n’avons-nous pas à établir sur le fond de son livre des discussions auxquelles ici même nous nous sommes déjà livré. Parce qu’il plaît à M. Michelet d’isoler la bourgeoisie du peuple et de la condamner à une sorte d’impuissance morale, imposerons-nous à nos lecteurs l’ennui de revenir sur des débats épuisés ? M. Michelet, dans le Peuple, répète, avec quelques variantes, ce que M. de Lamennais avait écrit dans le Livre du Peuple. Nous signalâmes alors les erreurs du prêtre démocrate, et nous eûmes même à défendre nos critiques contre un écrivain célèbre dont la brillante intervention fut très remarquée dans ce recueil. Toutes les questions que M. Michelet agite dans sa nouvelle publication d’une manière confuse ont été mainte fois, dans ces quinze dernières années, traitées, approfondies. Pour apporter son tribut, M. Michelet arrive bien tard. Avant lui, M. Buchez et son école avaient souvent imprimé que la France est la fraternité vivante, et que l’histoire de France est dans le monde la seule véritable histoire. La France est un devoir, nous avait dit M. Buchez ; M. Michelet écrit aujourd’hui que la France est une religion : l’analogie est évidente. Voici où les différences commencent. Si M. Buchez est catholique, M. Michelet