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Chine deux années, s’éloigne précisément à la veille d’une crise que chacun prévoit, et sur laquelle le cabinet doit être suffisamment renseigné par ses agens. Une lettre que nous recevons de Chine nous transmet à cet égard des indications qui seraient peu rassurantes.

« La mission française va quitter la Chine. On assure qu’après le départ de notre ministre, c’est l’interprète de l’ambassade, M. Callery, qui continuera de correspondre avec les autorités chinoises et enverra directement ses rapports en Europe. M. Callery, Piémontais de naissance, a déserté la congrégation des missions étrangères, où l’avait conduit une vocation mal éprouvée. Cette défection n’est pas un antécédent favorable dans un pays où les intérêts religieux sont essentiellement liés aux intérêts politiques. La situation faite à M. Callery nous paraît donc une faute. En Chine plus que partout ailleurs, il importe de bien choisir ses agens, et, pour s’en convaincre, il suffit de jeter un coup d’œil sur nos relations antérieures avec le céleste empire.

Dès que le succès des armes anglaises eut fait tomber la barrière qui séparait la Chine du reste des nations, le gouvernement français s’occupa des rapports à nouer avec cette puissance. Une station navale fut chargée d’observer les progrès de la Grande-Bretagne, un agent politique prépara les relations diplomatiques, un consul fut accrédité auprès du gouvernement chinois.

« Il n’est point de mon sujet de retracer les luttes qui eurent lieu entre ces différens agens, le scandale de ces discussions n’a que trop retenti dans les journaux de Macao. On espérait que l’arrivée d’un ministre plénipotentiaire terminerait tous ces différends, et cependant, par des causes qu’il ne m’appartient point d’apprécier, le départ de ce haut fonctionnaire semble devoir laisser les choses dans un état encore plus déplorable.

« Depuis trois siècles, les missionnaires seuls, mus par le dévouement religieux, avaient pu, malgré des obstacles et des périls de toute sorte, pénétrer dans l’intérieur de la Chine, y former des relations et en étudier la langue. Leur influence a été assez grande au moment de la guerre, lorsque les Chinois étaient remplis de terreur, pour amener des conférences entre l’amiral Cécille, alors capitaine de vaisseau, et des mandarins du plus haut rang. Chose inouie, des dignitaires du céleste empire se sont abaissés à demander des conseils à un simple capitaine de vaisseau de la marine française, et à entendre des vérités qui détruisaient leurs préjugés les plus vaniteux. Ces conférences ont commencé à faire connaître au gouvernement chinois la force et l’organisation des nations européennes, dont les succès de l’Angleterre lui donnèrent bientôt une preuve sans réplique. Il a compris l’impérieuse nécessité de traiter avec cette dernière puissance, de céder devant elle, et, en entrant dans le droit public européen, de participer aux garanties d’un ordre de choses si nouveau pour lui. Le désir et la demande d’entretenir avec nous des relations diplomatiques étaient une conséquence de cette position ; ses offres ont été tellement pressantes, qu’on nous a proposé de nous céder un port dans la rivière de Canton et la propriété de l’île de Shon-py, qui forme ce port. Les Américains, désireux de trouver un mouillage où leur commerce pût établir ses entrepôts, sans craindre la rivalité de l’Angleterre, nous pressaient d’accepter cette proposition. Le mouvement commercial, résultat nécessaire de l’arrivée des négocians de ce pays, aurait couvert et au-delà les frais d’entretien d’un port dont les avantages étaient immenses en