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l’heure du coucher et celle du lever du soleil. Ils seront passibles de toutes les taxes dont il plaira au lord-lieutenant de les frapper pour faire face aux frais de l’occupation militaire ; la force armée, les escouades de police, les inspecteurs de toute sorte, devront, dans les districts soumis à l’état de siège, être entretenus par les habitans, et ceux-ci seront solidairement responsables des dommages-intérêts arbitrés par l’administration pour les crimes et délits commis sur leur territoire. Quiconque aura été arrêté dans une rue ou dans un champ après le coucher du soleil pourra être condamné à quinze ans de déportation ; la même peine sera appliquée à celui qui aura conservé dans son domicile une arme à feu sans en avoir fait la déclaration, et tout agent de la force publique sera autorisé à pénétrer dans la maison des citoyens pour faire des perquisitions, et à enfoncer les portes, si l’on refusait de les ouvrir devant lui.

Voilà certainement un projet qui contraste avec le respect proverbial chez nos voisins pour l’inviolabilité de la personne et du domicile. Aussi ne s’agit-il pas de l’appliquer à l’Angleterre, mais à l’Irlande, à cette terre de parias et de proscrits que les violences de la Grande-Bretagne ont placée, depuis plus de deux siècles, dans une position exceptionnelle. Aux causes habituelles qui troublent ce pays, devenu le cauchemar du gouvernement britannique, se joint en ce moment la crise produite par la disette des pommes de terre. D’ici à deux mois, l’Irlande ne vivra plus que des dons du gouvernement et des secours alimentaires qu’on se prépare à lui envoyer de tous côtés. On conçoit tout ce qu’une pareille extrémité ajoutera de périls à ceux qui sont déjà inhérens à l’état social de ce malheureux pays, et il n’y a pas à s’étonner des mesures rigoureuses temporairement réclamées. Cependant on peut croire qu’elles excèdent les justes bornes, et que, dans la pensée de lord Saint-Germain et de tous les tories qui ont applaudi à son œuvre, il s’agit moins encore de contenir l’Irlande que de l’humilier ; c’est une sorte de vengeance exercée par l’aristocratie sur un peuple qu’elle hait d’une haine inextinguible ; c’est le contre-coup de la loi des céréales subi par l’Irlande affamée.

O’Connell a attaqué le bill avec une énergie trop facile à justifier ; tout le parti irlandais fera donc défaut à sir Robert Peel, et ce ministre ne peut plus désormais compter sur lui. Les whigs paraissent décidés à combattre également le bill de coercition, malgré l’appui que lui a donné lord Melbourne à la chambre des lords. Embarrassés par le souvenir du bill de 1833 présenté par lord Grey, et qui ne différait guère de celui qu’a introduit le comte de Saint-Germain, ils s’attacheront à établir que les circonstances ont changé, et que, d’ailleurs, des dispositions aussi rigoureuses, pour être acceptées et comprises, auraient eu besoin d’être précédées de mesures de redressement, que sir Robert Peel a promises sans doute, mais qui ne sont pas encore réalisées. Tel sera le thème de lord John Russell, qui a manifesté l’intention de s’opposer à la seconde lecture. Cette scission entre le chef du parti whig et le chef du cabinet auquel l’appui de ce parti est devenu indispensable pour la mesure principale de son administration, cette scission, inévitable sans doute, est un événement grave, qui donne lieu à mille conjectures. On ne manque pas d’y rattacher le voyage de lord Palmerston à Paris. Le futur collègue de lord John Russell serait venu en France peur s’y faire amnistier, et se rendre possible dans une nouvelle administration. L’attitude du noble lord parmi nous est de nature à confirmer plutôt qu’à