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jusqu’au 30 avril pour ménager les intérêts engagés de bonne foi, c’était là une très faible difficulté : aussi a-t-il fallu toute la bonne opinion que l’Europe a conçue de la moralité du général Narvaez pour faire attacher tant d’importance au délai réclamé par lui contrairement à l’avis de ses collègues !

Quoi qu’il en soit, et quels qu’aient été les motifs réels de la dissolution du ministère, nous n’en félicitons pas moins l’Espagne d’échapper encore une fois aux empiriques auxquels sa mauvaise fortune l’avait livrée. Le nom de M. Isturitz serait une garantie acceptée par toutes les nuances de l’opinion constitutionnelle, et nous souhaitons sincèrement de trouver dans la nouvelle combinaison ministérielle des noms qui soient en mesure de garantir à la Péninsule le bien fait d’une administration probe et régulière.

En arrivant aux affaires, la position de M. Isturitz est des plus difficiles, car des luttes antérieures l’ont séparé de MM. Mon et Pidal, sans lesquels il est à peu près impossible de constituer en ce moment un cabinet durable au sein du parti modéré ; mais combien ces difficultés ne s’aggravent-elles pas, si aux obstacles parlementaires vont se joindre ceux des prononciamientos ! L’insurrection de la Galice, qui parait s’étendre à tout le littoral nord du royaume, peut amener les péripéties les plus inattendues. L’Espagne descend à l’état de ses colonies transatlantiques, et, si Dieu ne vient en aide à ce noble pays, il finira par s’abîmer dans l’anarchie. Toutefois la sortie du royaume du général Narvaez est un événement heureux qui rend les complications actuelles moins difficiles à dénouer.

Une nouvelle phase va signaler la carrière de sir Robert Peel ; une difficulté nouvelle se présente devant lui, et semble devoir modifier gravement sa position parlementaire. Nous voulons parler du bill de coercition pour l’Irlande, voté par la chambre haute sur la proposition du comte de Saint-Germain, et dont le cabinet vient de réclamer une première lecture aux communes. L’étonnement a été général à Londres, lorsqu’on a vu le premier ministre compliquer volontairement une position déjà difficile d’un embarras qu’il lui était tout au moins facile d’ajourner. C’est avant le vote définitif de son plan financier que sir Robert a jeté cette pomme de discorde au sein du parti déjà si divisé qui ne lui accorde qu’un concours conditionnel. Est-ce un gage donné à la chambre des lords pour la disposer à l’adoption de la loi des céréales ? Espère-t-on, en se montrant sévère contre l’Irlande, mieux disposer cette chambre à abandonner le système protecteur, et croit-on, en servant ses haines, adoucir la portée de ses sacrifices, ou bien est-ce un moyen hardi tenté par le premier ministre pour mettre sa majorité à l’épreuve ? Est-ce un essai de sa force qui lui est commandé par une situation précaire et compromise ? C’est ce qu’il est difficile de décider jusqu’à présent. Quoi qu’il en soit, il est impossible que le bill de coercition ne soulève pas au sein des communes les plus violons orages, et qu’il n’y provoque pas un déplacement notable de suffrages.

Ce bill constitue une législation exceptionnelle dont la seule règle sera le bon plaisir du lord-lieutenant d’Irlande. Une proclamation du vice-roi suffira pour placer tout ou partie de l’île sous un régime de terreur. Devant la seule insertion de la proclamation dans la Gazette de Dublin, toutes les garanties du droit commun seront suspendues. Aussitôt la mise en vigueur du nouvel acte dans un comté, les habitans ne pourront plus se montrer hors de leurs demeures entre