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ardemment que la sagesse des cabinets les conjure ; faisons des vœux pour que la tentative d’organisation constitutionnelle à laquelle paraît se préparer le roi de Prusse ait pour effet de calmer les esprits troublés depuis Cologne jusqu’à Memel par tant d’incitations et de problèmes, et, quelles que puissent être les difficultés que rencontrera l’Europe continentale dans sa laborieuse transformation, ne songeons pas à en profiter pour nous-mêmes. Lassons la calomnie par le désintéressement de notre conduite ; constatons que la pratique de la liberté nous a guéris de la fièvre de l’ambition, et, si nous sommes jamais appelés à intervenir hors de nos frontières, que ce soit dans la double pensée de faire prévaloir le droit de toutes les nationalités vraiment vivantes, et de provoquer entre les gouvernemens et les peuples une transaction analogue à celle dont nous recueillons nous-mêmes le bénéfice.

L’imbroglio dont Madrid était le théâtre a pris fin plus tôt que nous n’osions l’espérer : nous nous en félicitons sincèrement par la raison que les plus courtes folies sont les meilleures. Après l’avènement du ministère Narvaez, la dissolution des cortès et la suspension de la liberté de la presse, après les mesures sans exemple qui avaient signalé la dernière quinzaine, il n’y avait, ainsi que nous le faisions remarquer, qu’une solution possible à la crise : il fallait se jeter dans les bras de la contre-révolution, au risque de se voir dévoré par elle. Narvaez, dans la situation qu’il s’était faite, ne pouvait avoir pour collègue que le marquis de Viluma. La nomination du jeune Pezuela, beau-frère du chef du parti absolutiste, celle de M. Egaña, connu par l’ardeur de ses opinions anti-libérales, faisaient de l’entrée de M. Viluma aux affaires et du mariage du comte de Montemolin une sorte de nécessité fatale. Ce n’était qu’en faisant appel au parti carliste qu’il devenait possible de trouver quelque force, et son concours aurait été indispensable dans la lutte si follement entreprise contre la grande opinion libérale, unanime dans toutes ses nuances pour combattre cette insolente témérité. Le ton de tous les journaux étrangers, la réprobation dont la France en particulier a frappé la tentative du duc de Valence, avaient rendu aux modérés et aux progressistes toute l’énergie de leur indignation et toute la conscience de leurs forces. Il fallait donc, ou reculer sur cette pente fatale, ou arborer franchement le drapeau de M. de Viluma, en appelant sans délai auprès d’Isabelle II le fils aîné de don Carlos. Les journaux du prétendant, la Esperanza, le Pensamiento de la nation, ouvraient les voies à cette transaction, en déclarant hautement qu’ils ne soutiendraient pas le nouveau ministère sans une garantie précise pour leurs principes. La reine Christine et le général Narvaez lui-même auront reculé sans doute devant une telle extrémité, qu’ils n’avaient probablement prévue ni l’un ni l’autre, quelque inévitable qu’elle pût être ; et, lorsque le mariage napolitain aura été agité dans le conseil, celui-ci se sera naturellement divisé en deux partis, l’un représenté par Egaña et Pezuela, dévoués à la candidature de l’infant, l’autre par Burgos, Narvaez, et sa créature Orlando.

C’est ainsi du moins que des personnes ordinairement bien informées expliquent ce qu’il y a d’encore inconnu sur l’origine de la crise ministérielle. La question des marchés à terme n’a pas en effet par elle-même une importance suffisante pour rendre plausibles les scènes violentes qui auraient eu lieu dans le conseil et jusqu’au sein du palais. Qu’on suivît l’avis des ministres qui voulaient interdire immédiatement les négociations de bourse, ou qu’on les autorisât