Page:Revue des Deux Mondes - 1846 - tome 14.djvu/334

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de l’esprit, presque de l’esprit français, devant le sang qui fume encore, et, après des explications non moins longues qu’embrouillées sur les réformes législatives entreprises par l’Autriche dans l’intérêt des masses, il termine par cette lumineuse conclusion : « qu’en Gallicie ce n’est pas le paysan qui est attaché à la glèbe, que c’est la glèbe qui est attachée au paysan. » Du reste, on ne prend aucun soin, dans cette malhabile apologie, de démontrer à l’Europe, qui en demeure persuadée, que le gouvernement autrichien ne s’est pas opposé aux vœux réitérés de la noblesse en faveur de l’émancipation ; on ne nie pas qu’il ait contraint les propriétaires nobles à être les percepteurs impitoyables des impôts prélevés par le fisc, et qu’il ait révoqué la permission accordée aux non nobles d’acheter des biens-fonds. On n’entreprend pas de justifier le gouvernement de l’accusation d’avoir systématiquement semé entre les différentes classes d’habitans la haine et la discorde. Pourquoi, au lieu de citer Moïse et les moralistes grecs, l’apologiste n’a-t-il pas démontré, pour infirmer les assertions de la presse française et de tous les journaux libres de l’Allemagne, que les postulats de la noblesse gallicienne ayant pour objet l’amélioration du sort des paysans ont été accueillis par l’Autriche, au lieu d’avoir été invariablement repoussés par elle ? Pourquoi n’a-t-il pas, en un mot, répondu par des dates, par des faits et par quelques paroles de pitié à des accusations dont le monde est désormais saisi, et qui valent, ce semble, la peine d’être réfutées ?

Il est beaucoup plus commode, nous le reconnaissons, de déclamer contre la liberté de la presse, contre la révolution et contre la France. La liberté de la presse a ses inconvéniens sans doute, la révolution de 89 a provoqué de grands crimes, et tout n’est pas parfait en France ; mais qui oserait mettre en regard l’état social tel que la révolution française l’a fait avec celui qui se maintient à si grand’ peine dans le nord et dans l’est de l’Europe ? Qui oserait opposer le régime intérieur de la Russie, de l’Autriche ou même de la Prusse, à celui que nous assure une propriété divisée et accessible à tous, une liberté individuelle religieusement respectée, une liberté de conscience déclarée inviolable par la loi fondamentale ? Qui ne convient qu’il fait plus doux vivre au milieu de nos agitations régulières et de nos luttes pacifiques que sur ce sol où la pensée est sans aliment ; la vie sans intérêt, et où la vague appréhension de dangers inconnus suffit déjà pour troubler la sécurité du présent ? La France, qu’on calomnie d’autant plus qu’on la jalouse davantage, n’aura jamais besoin des services d’un colonel Benedeck, elle n’enfantera pas de Siemasko ; son gouvernement ne sera jamais contraint de se défendre par le silence et encore moins par le mensonge, et, le voulût-il, grace à Dieu, nos institutions lui rendraient cela impossible. La France a ses misères intérieures, ses luttes d’ambition, ses jours de faiblesse et d’égoïsme ; mais, lorsqu’elle ne s’élève pas jusqu’aux grandes vertus, elle est du moins assurée de ne pas descendre jusqu’aux grands crimes. Il est temps de cesser contre son gouvernement et contre elle cette guerre sourde où se révèle plus de jalousie que de haine, et que certains cabinets ont continuée sans parvenir à y associer leurs peuples. En présence des événemens qui se passent et de ceux qui se préparent, force est de reconnaître que nous seuls avons traversé les grandes épreuves, qu’en face des crises plus ou moins prochaines qui attendent d’autres gouvernemens, il nous est donné de contempler aujourd’hui du rivage les tempêtes qui grossissent à l’horizon. Souhaitons