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on ne peut prendre ce mot pour une utopie. L’activité extraordinaire de cette race anglo-saxonne, dont les filles hardies vont explorer les plus mystérieux recoins du monde, n’est pas le moindre symptôme de cette fusion. Mais comment et à travers quelles étranges catastrophes s’opèrera-t-elle définitivement ? Nul ne le sait.

C’est cette obscurité d’un avenir si imprévu et si mystérieux qui constitue le vif intérêt du temps actuel. L’esprit se tourne avec une inquiétude profonde vers cette création vaste et confusément annoncée. On se détache involontairement des choses d’autrefois, toutes vénérables qu’elles puissent être ; malgré la beauté consacrée et la grandeur triste dont le charme se fait sentir aux imaginations rêveuses, on préfère les livres consacrés aux régions neuves et pleines d’avenir. Certaines de nos voyageuses aiment un peu trop le passé, vieillard vénérable, à longue barbe blanche, enfermé dans son tombeau que personne n’ouvrira plus, et plongé dans l’immobile sommeil des siècles ; elles approchent de lui avec un timide respect et un tremblement qui n’est pas sans grace, mais qui n’a plus rien de sérieux. Cette vénération pour les murailles vermoulues et les lieux communs sur Miltiade fait qu’on les lit avec moins d’intérêt. Aujourd’hui les regards sont tournés vers l’avenir. S’en tenir au présent et au passé n’est plus possible. Laissons la minute qui fuit en proie aux hommes vulgaires ; que les héros dorment ; tombent en poussière les pierres d’autrefois ! Tous les hommes sérieux n’étudient les temps écoulés et le monde actuel que pour pressentir et préparer les temps nouveaux ; ils auront, d’ici à bien long-temps, plus d’enthousiasme pour l’avenir que pour le passé.

Philarète Chasles.