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le temps comme il vient, et s’endort dans sa rêverie. La littérature anglaise, même le journalisme, pénètrent au sein de ces mœurs sans les transformer. Le journal hindoustanique qui paraît à Madras dans l’idiome populaire offre l’expression la plus complète de ce raffinement et de cette frivolité puériles de l’intelligence chez un vieux peuple. Les mounchies traduisent pour l’édification de leurs compatriotes et sèment de fleurs orientales les fragmens des journaux européens qui leur plaisent le mieux ; on y lit par exemple une description romanesque du lit de la reine Victoria, sur lequel elle se couche, dit le feuilletoniste hindou, « au milieu de la musique et de l’encens, sans aucune espèce de draperies ni de vêtemens. » Voici la réclame consacrée au grand bal donné aux indigènes par le gouverneur de Madras : « Le chef des nababs est entré avec une grande souharrie (suite) de cent personnes et éclairé par cent lanternes en ligne. Il avait l’air d’un homme de pénétration. Les Anglais se sont mis ensuite à danser à leur mode, se secouant les mains et tapant des pieds, après quoi ils ont commencé à manger des mets défendus, et tous les respectables indigènes ont quitté la place. »

Les tentatives de certains rajahs pour imiter les modes européennes n’ont encore abouti qu’à une sorte de caricature impuissante et ridicule qui ne peut être acceptée ni des Hindous ni de leurs maîtres. La voyageuse reçut un jour la visite d’un de ces dandies orientaux qui portait un pantalon de satin jaune taillé à l’anglaise et un gilet de satin vert brodé de perles, le tout accompagné d’une robe de mousseline claire et d’un bonnet en tissu d’or. Il se fit apporter un pupitre fait à Londres, dans lequel se trouvaient renfermées des lettres de recommandation, et dont la clé et la serrure lui offrirent des difficultés presque insurmontables. Quand il fut parvenu à les vaincre, il tira de sa poche avec orgueil une montre colossale, ronde, ornée de six chaînes, et qui devait dater du commencement du XVIIe siècle. Il pria les assistans de lui permettre de la remonter en leur présence, et cassa le grand ressort. Tous ces riens, contés par la voyageuse avec beaucoup de gaieté et d’entrain, composent un amusant petit livre qui éclaire fort bien la question de l’Inde anglaise et explique l’impuissance des conquérans à influer sur les mœurs des vaincus ; — supplément précieux aux esquisses de mœurs anglo-hindoustaniques que l’on doit à deux autres femmes anglaises, miss Emma Roberts[1] et mistriss Elwood[2].

Il ne faut pas trop peser sur les choses légères : après avoir signalé les trois ou quatre ouvrages d’un mérite réel qui justifient les éloges

  1. Sketches of Hindostan ; 2 vol. in-12, 1831.
  2. Traits of Indian Life ; 2 vol. in-12, 1836.