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propos, contre l’idolâtrie d’une race peu éclairée, mais contre le scepticisme définitif d’une race ensevelie sous ses propres ruines. « Vous croyez, disait un mounchie à la voyageuse, que nous adorons nos idoles, et vous nous apprenez disertement qu’elles sont de pierre et de cuivre ; nous ne l’ignorons pas. Tout cela est pour le peuple ; et que ferait-il, s’il n’avait pas des guirlandes à suspendre au cou des divinités et du beurre fondu à jeter sur leur dos ? Cela le désennuie et l’occupe. Pour nous, nous avons nos Védas comme vous avez votre Bible ; les uns valent l’autre. Toutes les religions sont indifférentes et égales, et le moment viendra nécessairement où elles se confondront dans une croyance universelle. » En effet, de toutes les doctrines que l’intelligence européenne, dans sa finesse ou sa puissance, a tour à tour inventées, altérées, perfectionnées et confondues, il n’y en a pas une, comme l’ont prouvé récemment Colebroocke et les orientalistes qui se sont occupés de cette partie de la science, dont les brahmanes ne soient maîtres, depuis le panthéisme le plus systématique jusqu’à la doctrine des éons professée par les gnostiques, depuis le sensualisme le plus grossier jusqu’à une théorie de l’illusion ou de la maya, plus vaste et mieux raisonnée que les théories de Berkeley ; les brahmanes ont donc réponse à tout. Il y a long-temps qu’ils ont dépassé Voltaire, et le spinosisme même a dit chez eux son dernier mot.

Les traces dégénérées et affaiblies de cette extrême civilisation intellectuelle, qui s’en va de toutes parts en cendres et en poussière, se retrouvent de la manière la plus curieuse dans les conversations familières de la jeune Anglaise avec ses précepteurs ou mounchies. Élevés dans les subtilités les plus étranges, beaucoup d’entre eux ont perdu la virilité, non la finesse de l’intelligence. Ce sont à la fois des enfans et des philosophes. « Voici, disait l’un d’entre eux, trois formes épistolaires pour dire la même chose. L’une est pour le commun, je la donne aux enfans ; l’autre est pour les grandes personnes ; la troisième est sublime : elle est pour votre honneur. » Dans un berceau, à côté de la jeune Anglaise, que la lettre « sublime » ennuyait fort, se trouvait sa petite fille, qui essayait de prononcer quelques paroles, et dont sa mère encourageait les premiers efforts. Le mounchie se leva gravement, fit un grand salam, et, jetant le pan de sa robe, par respect, sur son épaule gauche, lui dit solennellement : « J’aurai l’honneur d’informer votre honneur que les enfans ne parlent pas avant deux ans ; » après quoi il se rassit avec la même gravité, et commença la controverse sur les matières religieuses : « Vous dites que la Bible vaut mieux que les Védas, et que nous devons croire aux paroles de la Bible ; mais, si Dieu avait voulu que vos Védas fussent les nôtres, n’aurait-il pas donné à tous les hommes le même langage, pour qu’ils connussent tous la