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qui aient paru dans ces derniers temps. La couleur en est parfaite de vérité, de transparence et de sensibilité féminine. Domiciliée quelques mois à Réval, métropole obscure de ce pays perdu, elle y a retrouvé avec étonnement toutes les mœurs de la vieille Angleterre du temps des Saxons ; elle se plaît surtout à décrire la souveraineté domestique des dames esthoniennes, et les magasins immenses de provisions sur lesquels elles exercent une autorité sans limite, et ces vastes maisons plus commodes qu’ornées, portant les caractères d’une richesse rustique et d’une abondance sans élégance. Les scènes d’automne, que son pinceau rapide et vif esquisse avec beaucoup de vigueur, ont une grace particulière, et son séjour à la cour de Saint-Pétersbourg lui a fourni des pages curieuses et instructives sur l’agrandissement progressif et menaçant de cette Asie glacée qu’on nomme la Russie.

Quant à mistriss Charles Meredith, elle nous conduit bien plus loin, en Australasie ; elle est aussi un bon spécimen de l’Anglaise courageuse, conservant l’esprit de famille dans la vie nomade, et une aimable ingénuité au milieu des études scientifiques. Avant son mariage avec la personne dont elle porte le nom, elle était connue sous celui de miss Twamley, et plusieurs de ses ouvrages sur la botanique et sur l’histoire naturelle lui avaient valu un certain degré d’estime, sinon de célébrité. Elle a suivi son mari à la Nouvelle-Galles du Sud, et la narration de son voyage, le récit de son séjour dans cette colonie, entre 1839 et 1844, récit auquel il ne faut pas demander d’observations philosophiques ou politiques, ont de l’agrément et de la nouveauté. C’est surtout la nature, et la nature animée, qu’elle reproduit de couleurs accentuées et bien senties. On voit très bien dans son livre ce pays, où tout semble ébauché, même les animaux et les arbres, région paradoxale, où rien ne vit et ne meurt comme en Europe. Pour les habitans de ces antipodes notre été c’est l’hiver, et notre hiver c’est l’été. Chez eux, le baromètre tombe pour annoncer le beau temps et s’élève pour indiquer le mauvais temps. Leur vent du nord est chaud, leur vent du sud est froid. Leur myrte est un bois de chauffage, leur cèdre tapisse les plus humbles cabanes, et leurs champs sont séparés par des haies d’acajou. Ils ne connaissent que des cygnes noirs et des aigles blancs ; la sarigue, animal particulier au pays, conserve dans une poche naturelle les petits qu’elle produit, et le kangurou, espèce intermédiaire entre l’écureuil et le daim, est presque aussi bizarre dans sa forme que l’ornythorincus paradoxus, petite taupe armée d’un bec de canard, et qui se reproduit par des œufs qu’elle couve. Ils ont des oiseaux, comme le mellifaga, dont la langue est un petit balai, des poissons qui tiennent le milieu entre la raie et le squale, des cerises dont le noyau est extérieur et la pulpe intérieure (exocarpus cupressiformis), et des poires en bois dont la queue pousse à l’envers (xylomelum