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une douceur lumineuse et gaie, préférable aux mordantes railleries de mistriss Trollope[1] et aux plaintes statistiques de lady Vavasour[2].

Parmi les bonnes causeuses de ce groupe, citons mistriss Romer, femme d’esprit, qui a le bon sens de rester frivole quand l’envie lui en prend et d’écrire à peu près ce qu’elle pense de tout le monde[3]. Elle cause un peu trop avec les aubergistes de Nîmes, et place dans ses beaux volumes plus d’une anecdote au moins apocryphe, alimens dont l’assaisonnement nous semble un peu provençal. Nous avons bien aussi quelques querelles à lui faire, à cette gaie et gracieuse mistriss Romer, qui n’aime ni les grands airs ni les affectations féminines. Où a-t-elle vu que la France soit si essentiellement anti-pittoresque, et que les plaines fertiles de la Beauce ou les agréables pâturages de la Normandie nous semblent, à nous Français, le nec plus ultra de la beauté et de l’originalité en fait de paysage ? Région intermédiaire et centrale, touchant au nord et au midi, et distinguée surtout par la souplesse et l’aisance des assimilations, la France a pour principal caractère une variété sympathique, et, pour centre moral, un bon sens naïf qui accorde les dissonances, réunit les contrastes, et ne ressemble pas mal à ces plaines agréables et peu hardies de la Touraine et de l’Anjou. La Franche-Comté ne rappelle guère la Provence, ni le Languedoc les environs de Colmar. Si mistriss Romer a, l’année prochaine, quelques jours à nous donner, qu’elle aille donc visiter les croupes verdoyantes des Vosges et la douce et fraîche majesté de ces solitudes ; puis qu’elle traverse la France, elle se trouvera en face des montagnes des Pyrénées et de leurs gaves : elle pourra choisir entre les Verrières suisses et le golfe de Lyon. Nous soupçonnons mistriss Romer elle-même de n’avoir pas pour le pittoresque un goût aussi vif et une vocation aussi prononcée qu’elle le suppose. Ce qu’elle fait le mieux, ce sont les portraits à demi burlesques ; il y a un vieux Portugais, par exemple, qu’elle rencontre sur le paquebot : frisé, poudré, charmant, idyllique, débris galant d’un monde détruit, et qui va rendre visite à sa maîtresse de vingt ans ; il traverse la mer pour cela, ne trouve plus qu’une tombe, et revient dîner à la table d’hôte, avec une mélancolie gracieuse mêlée d’appétit dévorant. Elle décrit aussi fort bien le capitaine anglais à la recherche des émotions, s’attachant à Montès, le célèbre matador, et se penchant sur les barrières du combat pour obtenir à tout prix l’épée qui a fait tant de merveilles. Notre touriste a voyagé sur les bords du Darro, du Guadalquivir et du Rhône, comme on voyage dans un salon, en quête des ridicules.

  1. Belgium and the Netherlands, etc. ; 1834.
  2. My last Tour and First Work, by lady Vavasour ; 1 vol., 1845.
  3. The Rhône, the Darro and the Guadalquivir, 2 vol., 1845.