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il en est encore qui ne se montrent pas trop pédantes, et qui restent femmes ; il en est chez qui la fleur de la naïveté n’a pas totalement disparu. Celles-là nous apprennent ce qui se passe à travers le globe ; dans la transparente facilité de leurs récits, on aperçoit les diverses nuances dont le mouvement actuel des sociétés s’empreint et se colore. C’est donc une leçon fort agréable à la fois, et très bonne à recueillir, que celle-là. L’une a vécu avec les femmes esthoniennes, sur les bords de la Baltique, dans un pays pâle et doux, comme les fleurs d’hiver qui se maintiennent brillantes sous la neige ; l’autre sait exactement le dialecte nouveau dont les Anglo-Hindous commencent à se servir ; une autre, née à Édimbourg, bonnie lassie, élevée dans le sentiment et la métaphysique, est devenue Espagnole et Mexicaine, au point que six taureaux matados lui suffisent à peine. Ce babil est souvent agréable, quelquefois ennuyeux, délicieux de temps à autre.

Établissons parmi les dames voyageuses des classes aussi artificielles que les subdivisions botaniques de Tournefort ; sans cela, nous ne parviendrions jamais à nous en tirer. En voilà vingt-sept qui gazouillent et racontent, qui s’exclament et déclament, qui vont à cheval et à pied, en yacht et en steamer, crayonnant, peignant leurs aquarelles, et remplissant leurs albums de tout ce qui se présente à leurs regards ou à leur esprit. Je commencerai par les savantes, dont je me débarrasserai bien vite ; le tour des paresseuses viendra ensuite, de celles qui font en Espagne ou en Provence une petite promenade agréable et sans péril ; puis je parlerai des grandes dames, qui s’ennuient du train ordinaire de la vie élégante, telle qu’on la mène à Paris, à Florence ou à Londres, et vont remettre un matin au Caire, chez Méhémet-Ali, ou chez le gouverneur de la Mecque, leur carte de visite ; enfin les touristes lointaines, les vraies voyageuses, celles qui traversent à dos d’éléphant les « jungles » de l’Hindoustan et suivent leur mari jusqu’aux plages inconnues de la Tasmanie, m’occuperont spécialement, et après tout, n’en déplaise à leurs rivales, ce sont bien les plus vraiment intéressantes.

Certes, il n’en est pas de plus savante que miss Catherine Taylor[1], à moins que ce ne soit mistriss Hamilton Gray, dont la visite aux tombeaux étrusques[2] mérite une mention honorable de l’Académie des inscriptions et belles-lettres. De plus érudits que nous, M. Victor Leclerc ou Angelo Maïo, décideront les grands problèmes que le passé recouvre de son ombre la plus profonde, et à la solution desquels la dame écossaise a consacré ses loisirs, ses voyages et ses veilles ; il s’agit de savoir si les Étrusques vinrent de la Rhétie ou de l’Asie-Mineure, de l’Égypte ou de la Phénicie. Mistriss Gray penche pour l’Égypte ; ceux qui ont

  1. Letters from Italy, by miss Catherine Taylor ; 2 vol., 1845.
  2. The Sepulchres of Etruria, by mistriss Hamilton Gray ; 2 vol., 1843-1845.