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par le choix du site, par l’élégance majestueuse des lignes. On souhaiterait plus de solidité dans les terrains, dans les rochers, dans le tronc de l’arbre qui occupe le premier plan. Ce défaut n’est pas nouveau chez M. Corot. Toutefois il est impossible de contempler sans plaisir cette composition, qui révèle chez l’auteur un esprit indépendant. Son pinceau n’a pas rendu fidèlement toute sa pensée ; mais il est évident que l’auteur n’a pas consulté les traditions de l’école, et qu’il a reproduit librement ce qu’il avait librement choisi. C’est un mérite dont il faut lui tenir compte.

Le talent de M. Aligny est demeuré ce qu’il était il y a quinze ans. Dans une Vue prise à la Serpentara, dans une villa italienne, il a traité tous les détails avec une précision qui dégénère souvent en sécheresse. Il ne sait pas s’arrêter à temps. Avec moins d’efforts, il obtiendrait un effet plus sûr. M. Aligny est un artiste sérieux, plein de science et de bon vouloir, dont les œuvres plairaient davantage, s’il consentait à sacrifier les parties secondaires pour appeler, pour concentrer l’attention sur les parties principales. Il arriverait ainsi à l’intérêt par la variété.

Dans une Vue prise à Saint-André (Ain), M. Achard a montré qu’il sait copier habilement ce qu’il voit. Il y a de la vérité dans la forme et le ton de ses terrains. Ce qui manque à cette toile, c’est l’intérêt. Le talent d’exécution que l’auteur possède ne demanderait qu’à être appliqué dans de meilleures conditions. Le sujet qu’il a choisi a le double inconvénient de ne pas offrir un ensemble de lignes harmonieuses et de ne pas se prêter par son importance à de grandes dimensions. Je ne parle pas des autres compositions de M. Achard, qui donneraient lieu aux mêmes remarques.

La Vallée de Chevreuse et la Coupe de bois, de M. Troyon, offrent plusieurs détails étudiés avec soin, mais il n’y a dans ces toiles ni grandeur ni fermeté. On y sent le désir plutôt que la faculté de lutter avec la nature. Plantes et terrain, tout est traité avec la même timidité. M. Troyon ne comprend que la moitié de sa tâche ; il s’efforce de copier ce qu’il voit, et ne paraît pas même entrevoir la nécessité d’imprimer à ses compositions le cachet de sa pensée, de sa volonté. Ses efforts méritent d’être encouragés ; mais il se trompe étrangement, s’il croit que le devoir du paysagiste se réduise exclusivement à l’imitation de l a nature.

Tous les tableaux de M. Thuillier ont l’air d’être peints sur porcelaine. Une Vue prise à Mustapha-Supérieur, près d’Alger, la Route d’Alger à la Kasbah, la Vallée de Gapeau en Provence, le Pont de Saint-Bénézet à Avignon, le Ravin de Thiers (Puy-de-Dôme), tout a pour lui le même aspect, la même couleur. Ses voyages en Italie, en Provence, en Afrique, n’ont pu modifier l’inaltérable uniformité de sa peinture. Il semble qu’il recommence éternellement le même tableau. Il n’est pas un coin où l’on puisse découvrir un grain de poussière, un brin d’herbe agité