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forme est incomplète, modelée vaguement ; le dessin manque de sévérité, de correction. Cependant tous ces défauts, sur lesquels nous sommes forcé d’insister, puisqu’une notable partie du public s’obstine à ne pas les apercevoir, toutes ces taches, toutes ces preuves manifestes d’ignorance, n’empêchent pas les compositions de M. Scheffer d’éblouir et de charmer les spectateurs à qui leurs études personnelles ne permettent pas de se montrer exigeans, et qui demandent surtout à la peinture de provoquer chez eux la rêverie. M. Scheffer peut donc en appeler de la critique au succès. Quoi qu’il en soit, la popularité de son talent fût-elle cent fois plus grande qu’elle ne l’est aujourd’hui, nous ne voudrions pas renoncer au droit de dire toute notre pensée. Une rapide analyse des ouvrages qu’il nous a donnés cette année suffira pour montrer la valeur de notre opinion. Il est permis de croire que le public, malgré sa sympathie pour le talent de M. Scheffer, commence à se lasser de l’interminable série de compositions où figurent Faust et Marguerite. Mais nous ne voulons pas insister sur ce point. Acceptons ces deux personnages comme nouveaux, saluons-les comme une invention pleine de fraîcheur et de jeunesse, et voyons le parti que l’auteur en a tiré. Prenons Faust et Marguerite au jardin. La manière dont ces deux personnages entrelacent leurs mains est assurément très puérile et n’a rien de naturel. Quant au cou de Marguerite, il est très mal attaché et ne tourne pas. Parlerai-je de la forme du corps ? De l’épaule à la hanche, le dessin n’est pas même suffisant, et de la hanche au pied, il est complètement nul. La robe est un sac vide, et rien de plus. Faust au sabbat aperçoit le fantôme de Marguerite. Ici l’incorrection, ou plutôt l’absence du dessin est encore plus manifeste et plus choquante. Les épaules et la poitrine de Marguerite, complètement nues, semblent modelées d’après une sculpture en bois. La chair vivante n’offre rien de pareil. Quant au reste du corps, je défie le plus habile, le plus clairvoyant de le deviner sous le vêtement. Non-seulement les cuisses et les jambes sont absentes, mais il n’y a pas même de place pour les loger. Ce que j’ai dit de ces deux compositions, je puis le dire avec une égale justesse du Christ portant sa croix, du Christ et des saintes femmes. Seulement je dois ajouter que ce dernier tableau est absolument dépourvu de relief. Toutes les figures ont précisément l’épaisseur d’une feuille de papier, et se trouvent ainsi placées au même plan. Quant au Christ portant sa croix, il a quelque chose de maladif, mais on ne peut pas dire qu’il exprime la souffrance. L’Enfant charitable est un sujet d’aquarelle, traité, on ne sait pourquoi, dans des proportions que ne comportait pas la ballade de Goethe. Saint Augustin et sainte Monique expriment assez vaguement le passage des Confessions cité par l’auteur. La tête de sainte Monique vaut mieux que celle de saint Augustin. Le regard de sainte Monique est plus voisin de l’extase ; mais aucune des deux têtes n’est modelée