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une fable : « L’épervier, dit-il, enlevait dans ses serres, et emportait bien haut à travers la nue le rossignol à la voix flexible ; la pauvre proie pleurait sous l’étreinte de la serre recourbée, et le ravisseur lui disait ces terribles paroles : Beau chanteur, qu’as-tu à crier ainsi ? Tu es la proie d’un plus fort que toi, tu vas où je te mène, tout musicien que tu es, et, suivant mon caprice, je ferai de toi mon repas ou je te laisserai en liberté. Ainsi parlait l’épervier au vol rapide, aux ailes étendues. Insensé, qui veut tenir tête à un plus fort que soi. Sa perte est assurée, et, pour l’accabler, la souffrance se joint à l’outrage ; et toi, ô Persès, écoute la voix de la justice, n’encours pas le reproche d’insolence ! » - Archiloque, l’impitoyable Archiloque avait lancé plus d’une fable contre le parjure Lycambe. « C’est, disait-il, une vieille histoire parmi les hommes : Le renard et l’aigle firent un jour alliance… Au mépris de la foi jurée, l’aigle dévora les petits du renard, qui, dans son impuissance, implora la vengeance des dieux ; elle ne se fit pas long-temps attendre. L’aigle enlève un morceau de chair qui brûlait sur un autel, et, avec sa proie, porte par mégarde un charbon allumé dans son nid. En un instant, tout est en feu, et le perfide périt avec ses nourrissons. » Et ailleurs, dans un accès de verve plébéienne « Je veux vous conter une fable, Cérycide, et le message n’est pas divertissant. Séparé des autres animaux, le singe cheminait seul dans un lieu retiré ; sur son chemin se trouva le renard matois, à l’esprit plein de ruses… » La fin manque, mais nous la trouvons dans la fable 81 de Babrius : « Le renard disait au singe : Tu vois cette colonne funéraire, elle est à moi, c’est celle de mon père et de mon grand-père. — Mens à ton aise, lui dit le singe, tu sais bien que personne n’est ici pour te prouver le contraire. » Déjà, au temps d’Archiloque, nous trouvons la fable sur la place publique, dans la bouche des orateurs populaires. Phalaris demandait une garde aux habitans d’Himère ; les Himériens allaient se laisser prendre aux doucereuses paroles du tyran ; le poète Stésichore se leva, et leur conta la fable du cheval qui, jaloux du cerf, appelle l’homme à son aide, se laisse monter par lui, et remporte enfin la victoire, mais au prix de sa liberté. Qui ne se rappelle l’apologue de Ménénius ? Les exemples se rencontrent à chaque pas, et la raison en est simple : la fable se prêtait indifféremment à toutes les situations. Si le faible y trouvait un moyen de défense contre le fort, parfois aussi elle servait au vainqueur à railler ou à épouvanter les vaincus. Les Grecs d’Asie-Mineure avaient refusé de s’unir à Cyrus contre le roi de Lydie ; une fois les Lydiens abattus, ils vinrent à Sardes implorer la protection des Perses. « Un joueur de flûte, leur répondit Cyrus, voyant des poissons dans la mer, se mit à jouer de la flûte, pensant qu’ils viendraient d’eux-mêmes au rivage. Trompé dans son attente, il jeta un filet, enveloppa bon nombre de poissons, et les tira sur le bord, puis, les voyant frétiller : Assez dansé,