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qui ait mis les fables d’Ésope en vers choliambiques. Enfin, dans la fable 57, un mot laisse deviner qu’il a été trompé par les Arabes. « Mercure, dit-il, ayant rempli un char de mensonges, de fourberies et de toute sorte de mauvais tours, parcourait la terre, sans cesse voyageant de contrée en contrée, et distribuant à chaque homme une parcelle de ses dons : on raconte qu’arrivé aux confins de l’Arabie et traversant déjà ce pays, tout à coup son char se brise et reste en chemin. Les Arabes de piller aussitôt toute la charge du marchand comme chose de haut prix ; bref, ils vidèrent le char, et ne lui permirent pas d’aller plus loin. Depuis lors, les Arabes sont, je le sais par expérience, gens menteurs et trompeurs, qui n’ont jamais eu sur les lèvres un seul mot de vérité. » On le voit, ces renseignemens ne sont pas tellement précis, qu’ils ne laissent plus de place aux hypothèses. M. Boissonade, qui, en 1813, faisait de notre poète un contemporain d’Auguste, pense aujourd’hui que le roi Alexandre pourrait bien être l’empereur Alexandre-Sévère (mort en 235 après Jésus-Christ). M. Bergk, dans un programme publié à Marbourg en 1845, voit dans cet Alexandre un roi de Corinthe, et place sans hésiter Babrius au milieu du IIIe siècle avant notre ère. De l’un à l’autre, la distance est honnête, comme dit Horace : Intervalla vides humane commoda. Il est vrai que la conjecture de M. Boissonade est très certainement une erreur, puisque le rhéteur Dosithée, qui écrivait en 207 après Jésus-Christ, cite textuellement deux fables de Babrius ; mais cette donnée, la plus explicite de toutes, est encore bien insuffisante. Les autres témoignages ne nous apprennent rien. Ainsi, dans la préface de ses fables dédiées à un certain Théodose, le poète latin Avianus, énumérant les fabulistes qui lui ont servi de modèle, cite Ésope, Socrate, Horace, Babrius et Phèdre. Malheureusement on ne sait pas dans quel siècle vivait Avianus, et, d’un autre côté, il n’est pas certain qu’il ait suivi dans son énumération l’ordre chronologique. Un grammairien appelé Apollonius, qui a fait un lexique d’Homère, cite sans nom d’auteur deux vers choliambiques où il est question de la mort d’Ésope, précipité du haut de la roche Phaedriade par les Delphiens, irrités de son trop libre parler. La plupart des savans ont vu dans ces deux vers un fragment d’une fable de Babrius, et vraisemblablement de la fable intitulée l’Aigle et l’Escarbot, que la tradition met dans la bouche d’Ésope au moment où les Delphiens le traînent à la mort. Apollonius vivait, à ce qu’il paraît, dans la dernière moitié du Ier siècle de notre ère. Or, en 72, un Alexandre, de la famille d’Hérode, fut établi roi par l’empereur Vespasien dans un canton de la Cilicie. C’est pour cette date que se décide M. Lachmann ; mais d’abord la citation d’Apollonius est suspecte d’interprétation, et, fût-elle incontestable, il resterait à prouver qu’elle est empruntée à Babrius ; M. Schneidewin a montré qu’on pouvait l’attribuer avec autant de vraisemblance au moins à l’Alexandrin Callimaque.