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assez étendu. Dans ses pages, jamais une lueur de comique n’a brillé. C’est à ce don divin du comique qu’on reconnaît les maîtres. Au lieu de nous montrer Socrate apostrophant sans relâche les sophistes avec une rudesse intraitable, Platon fait de quelques parties de ses dialogues des comédies charmantes où la délicatesse de l’enjouement et de la plaisanterie porte à la fausse sagesse des atteintes profondes. Dans cet art, Pascal a su égaler Platon, et souvent Paul-Louis Courier est parvenu à se placer pas trop loin de Pascal. Le comique a une puissance merveilleuse de persuasion ; il détend les esprits, puis s’en empare, et il se trouve qu’à l’aide de cet aimable auxiliaire la vérité y a pénétré. On chercherait inutilement de pareils effets dans la prose de M. de Cormenin : c’est un logicien qui s’élève parfois à la véhémence de l’orateur, comme dans sa lettre à Casimir Périer. Même dans les momens où son talent est le plus réel, il est toujours monotone.

Comme pour répondre à ces reproches par la variété de ses sujets, M. de Cormenin, qu’enhardissait le retentissement de ses pamphlets, se mit à écrire des études sur les orateurs parlementaires. Le sentiment qui domine dans ces études est la haine de la tribune. Avant la révolution de juillet, en 1828, M. de Cormenin entrait à la chambre avec le désir fort légitime de s’y faire un nom. Il prit une part active aux travaux parlementaires, traita des questions importantes[1]. Quand il prononçait, quand il lisait à la tribune des discours substantiels, on l’écoutait. Dans les matières de législation et de jurisprudence administrative, c’était une autorité. Néanmoins, comme s’il avait perdu avec le souvenir de ces premiers succès toute envie d’en obtenir de nouveaux, depuis 1830 M. de Cormenin garda au sein de la chambre un silence obstiné, et il n’osa pas, au milieu des vifs débats dont nous avons eu le spectacle pendant les premières années qui suivirent la révolution, aventurer son éloquence écrite. Alors le taciturne député résolut de citer à son tribunal tous ces orateurs importuns, au verbe sonore ; s’il est muet à la chambre, il éclatera sur le papier.

C’est ainsi que l’auteur des Études sur les Orateurs parlementaires, auxquelles il a donné plus tard le titre ambitieux de Livre des Orateurs, a été entraîné à confondre deux choses fort différentes, la critique et la satire. Cette confusion suffit déjà pour indiquer à nos lecteurs pourquoi il ne nous est pas possible de mettre M. de Cormenin à côté de Cicéron et de Quintilien, qui ne se sont jamais avisés de substituer à la sévérité littéraire l’acrimonie du libelliste. M. de Cormenin a reconnu lui-même à quels excès il s’était emporté : il a repris la plume plusieurs fois pour atténuer, pour effacer ses injustices les plus vives, et il a rempli de ses variantes de nombreuses éditions. Des démocrates ont relevé ces changemens :

  1. La constitution de la pairie, le conseil d’état, les appels comme d’abus, le cumul des traitemens, le jury en matière des délits de la presse.