tué son ami était parfaitement horizontale, et qu’il n’avait pas enfreint la loi. L’alcade, frappé de la justesse de cette observation, le réprimanda de sa vivacité, et le renvoya à ses travaux ordinaires, « attendu, dit-il, qu’il n’y avait point de partie civile, et que le bando punissait de mort les blessures faites avec un couteau pointu, sans qu’il fût question des couteaux sans pointe. »
Je me rappelai fort à propos cette histoire au moment où j’allais tirer le couteau que je porte à la ceinture en place d’estaca. Ce couteau était des plus pointus, et j’étais bien aise de me mettre dans mon droit. Je voulus donc en casser la pointe, mais dans mon trouble je m’y pris si maladroitement, que la lame se brisa juste au manche, et qu’il ne me resta dans la main qu’un inutile tronçon. Privé de la seule arme qui pût assurer ma vengeance, je sentis qu’il n’y avait pas un instant à perdre. Je revins à la grève en courant ; un canot s’y trouvait, je le détachai ; la fureur me donnait une force nouvelle, je traversai le détroit, je pris dans ma hutte un autre couteau sans songer cette fois à l’épointer, et je revins de nouveau vers l’île d’Espiritu-Santo.
Le vent d’orage commençait à s’élever ; dans l’obscurité de la nuit, les lames envoyaient contre les brisans des gerbes de feu ; la gaviota gémissait tristement sur le sommet des rochers, les loups marins hurlaient dans les ténèbres, et de temps à autre le lamentin mêlait aux soupirs du vent ses accens mélancoliques et plaintifs comme ceux d’une ame en peine. Tout à coup un autre bruit arriva à mon oreille, il semblait sortir du sein même de la mer. J’écoutai, mais une rafale chassa bien loin de moi les rumeurs confuses de l’Océan, et je croyais m’être trompé, lorsque, quelques secondes après, ce cri arriva directement jusqu’à moi. Cette fois il n’y avait plus à se méprendre, c’était un cri de suprême angoisse, c’était l’appel déchirant d’une créature humaine en détresse. Comme la voix venait du côté d’Espiritu-Santo, il ne me fut pas difficile de deviner que c’était Rafaël qui appelait à l’aide. Déchiré par mille sentimens contraires, je montai sur l’avant du canot pour m’assurer encore que je ne me trompais pas ; mais ce fut en vain que je promenais mes regards sur la mer : la nuit était trop obscure pour que je pusse rien apercevoir. Tout à coup j’entendis de nouveau et distinctement :
— Oh ! du canot, oh ! pour l’amour de Dieu !
C’était bien la voix de Rafaël.
Ici José Juan s’interrompit un instant, et s’écria d’un air inquiet :
— N’avez-vous pas entendu un soupir ?
Nous écoutâmes, mais le ressac des brisans, le cri de l’huîtrier, le battement des ailes d’un oiseau qui s’envolait du sommet d’un rocher voisin de la cabane, troublaient seuls le profond silence de la nuit.
— J’avais cru entendre un soupir sortir de la hutte, reprit-le plongeur.