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de la mer. Les barques qui restaient immobiles étaient montées par les plongeurs. De minute en minute, on les voyait disparaître sous l’eau, puis se remontrer les yeux et les traits gonflés par la fatigue, les muscles tendus. Ils déposaient au fond de leurs embarcations les coquillages qu’ils avaient pu détacher des bancs, se couchaient un instant, attendant que ceux de leurs camarades qui alternaient avec eux fussent revenus, puis replongeaient de nouveau. Quelques-uns d’entre eux étanchaient avec de l’eau de mer les flots de sang que la trop longue compression des poumons leur faisait rendre par les oreilles et surtout par les narines.

De temps en temps, sur les cimes des promontoires qui dominaient la rade, apparaissaient quelques vieilles femmes hideuses et à peine vêtues ; c’étaient des sorcières indiennes. Elles s’avançaient en étendant sur les flots leurs bras décharnés, et murmuraient ou chantaient des paroles mystérieuses pour endormir la férocité des requins. Cet ensemble si pittoresque, les sauts des plongeurs, le bruit continuel de l’eau jaillissante, les cris des signaux, les encouragemens, les défis, les rumeurs de la terre se mêlant à celles de la mer, les chants lugubres des sorcières, puis de temps à autre les évolutions des requins signalés par l’aileron qui s’élève de leur épine dorsale, toutes ces scènes si étranges, si diverses, composaient un spectacle des plus curieux pour un Européen. Pendant que je le contemplais avec un vif intérêt, le capitaine s’approcha de moi avec son calme habituel et me dit :

— Si mes gens n’avaient pas besoin de se reposer de leurs fatigues, je mettrais à votre disposition une de mes embarcations ; mais vous pouvez y suppléer en hêlant une de ces barques, qui vous conduiront à Cerralbo pour la moindre des choses. Une journée sur la terre ferme paraît bien douce après une longue navigation.

Comme j’étais parfaitement de cet avis, je suivis le conseil du capitaine, et quelques instans après je débarquais à Cerralbo. Le premier aspect de l’île n’a rien d’agréable. Un village entier composé de cabanes faites de planches, de débris de barques hors de service ou de navires échoués, de bambous, de troncs de palmiers, s’élève à quelque distance de la mer. Sur la plage, je remarquai des monceaux de coquillages de nacre qui attestaient l’abondance de la pêche précédente ; plus loin, ces mêmes coquillages, que la putréfaction avait ouverts, étaient vidés dans des auges en bois et lavés avec soin. De temps à autre, on tirait de cet amas de coquilles fétides des perles de diverses grosseurs, depuis la semence jusqu’à la calebasse. Des cris de joie éclataient chaque fois qu’une perle de grande dimension s’offrait aux regards des travailleurs. Dans d’autres endroits de l’île, de malheureuses tortues cuisaient toutes vives, au milieu des plus affreux tourmens, dans leur carapace, que le feu ramollissait et aidait à séparer de leur corps. On raccommodait des barques