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vaient avec anxiété cet étrange spectacle. Quant à l’équipage de la Guadalupe, il témoignait une joie voisine de l’ivresse. Le Canaca ne pouvait assister sans frémir à une course en canots et à des prouesses de natation qui lui rappelaient ses îles natales, et les deux Apaches poussaient, du haut de la hune, des hurlemens d’allégresse. Une minute s’était à peine écoulée, au milieu de cette vive préoccupation, lorsqu’une tête se montra à la surface de l’eau, c’était celle du fugitif. Il nageait vers Espiritu-Santo avec toute l’énergie du désespoir, quand tout à coup, comme s’il eût été entraîné par un de ces puissans tourbillons qui engloutiraient un vaisseau, il s’enfonça rapidement et disparut. Une légère écume qui blanchissait, de petites vagues qui bouillonnaient au-dessus de la place où on l’avait perdu de vue, indiquaient une lutte sous-marine. Avait-elle lieu entre José et son adversaire, ou bien le malheureux était-il aux prises avec un de ces monstres féroces dont la vue seule donne le frisson à l’homme qui les contemple en sûreté du pont d’un navire ? Cependant l’écume blanchissait toujours et ne se teignait pas de sang ; cette vue rassura les spectateurs. Enfin l’eau se fendit de nouveau, une tête parut, puis une autre ; la première, c’était celle de José Juan, la seconde celle du fugitif : seulement on s’aperçut bientôt que ce dernier ne se soutenait sur l’eau que par le jeu de ses jambes, car la corde de José Juan se repliait trois fois autour de ses bras collés à son buste par cette triple étreinte. Cette merveilleuse prouesse, accomplie sous les vagues, excita, tant à bord que sur le rivage, un tonnerre d’applaudissemens, parmi lesquels se mêlaient des cris de : Viva José Juan ! que viva ! tandis que le capitaine se retournait vers moi pour me dire :

— Je vous avais bien dit qu’un homme poursuivi par José Juan était un homme perdu !

La nuit, qui arriva rapidement, nous déroba la suite de cette scène extraordinaire, mais nous entendîmes, au bout de quelques instans, des cris lamentables qui partaient du rivage mêlés à des rires ironiques, le murmure sourd de la lutte d’un seul homme contre plusieurs, puis nous n’entendîmes plus rien.

Quand la Guadalupe eut achevé de mouiller à une demi-portée de canon du rivage de Cerralbo, l’heure du repos était venue pour cette population de plongeurs, de marchands et d’aventuriers, dont la journée est si remplie de périls et de fatigues. La lune, déjà levée, éclairait de ses pâles rayons les molles ondulations de la mer. De longues lames venaient se briser avec un bruit monotone sur une grève semée de coquillages nacrés, et qu’on eût pu croire complètement déserte.

Les îles de Cerralbo et d’Espiritu-Santo ont été renommées de tous temps dans le golfe de Californie pour leurs bancs d’huîtres perlières