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la métaphysique. Enfin on délaisse les parties inférieures de la biologie, la nutrition, les maladies, même les maladies mentales ; on fait abandon des possédés et des démoniaques. Cette longue retraite de plus en plus ressemble à une déroute, et, comme dans l’histoire de l’expulsion des Maures hors de l’Espagne, la science positive, d’abord faible et cantonnée dans un domaine exigu, étend avec lenteur ses conquêtes ; puis, quand elle a fini par gagner une véritable puissance, ses progrès s’accélèrent avec rapidité. Les mathématiques ont été l’étroite localité, la région retirée d’où elle est partie pour gagner les plaines sous-jacentes, et déjà elle accule ses rivales à la mer opposée.

Nous sommes les témoins d’une de ces invasions, la biologie en venant à réclamer la doctrine des facultés affectives et intellectuelles. Si on lui conteste ce droit, la première réponse qu’elle ait à faire est celle de Diogène aux philosophes qui niaient le mouvement : Diogène marcha ; la biologie traite de l’intelligence et du moral de l’homme ; il n’est plus de livre de physiologie qui n’ait une section consacrée à cet objet. Ainsi se trouvent institués sur ce point, comme sur beaucoup d’autres, deux enseignemens radicalement contraires, l’un positif, l’autre théologique ou métaphysique.

C’est sans aucun dessein prémédité que la biologie s’est ainsi étendue. La curiosité scientifique conduisit à agiter ces questions, qu’on voit poindre dès une haute antiquité. Démocrite s’en occupa, et, au dire de La Fontaine,

… Hippocrate arriva dans le temps
Que celui qu’on disait n’avoir raison ni sens
Cherchait dans l’homme et dans la bête
Quel siège a la raison, soit le cœur, soit la tête.
Sous un ombrage épais, assis près d’un ruisseau,
Les labyrinthes d’un cerveau
L’occupaient…


Ce sont, en effet, les labyrinthes du cerveau qui ont amené la physiologie sur le terrain de ce qu’on appelle dans les écoles psychologie. Sans s’inquiéter si la théorie des facultés mentales n’avait pas une solution complète dans les livres des théologiens et des métaphysiciens, sans y songer même, elle a édifié, conduite par le rapport des organes et des fonctions, une doctrine indépendante des doctrines reçues. Trois ordres de faits l’ont mise simultanément dans la voie. En premier lieu, la pathologie est venue apporter son contingent. Les lésions mentales qui suivent les lésions du cerveau, l’affaiblissement de l’intelligence dans l’apoplexie même guérie, le délire dans les inflammations des méninges, la stupeur dans la compression, sont des faits perpétuels. Et non-seulement les actions directement portées sur le cerveau le troublent, mais encore des influences réfléchies vont, des viscères abdominaux