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versés dans les sciences inorganiques avaient quelque teinture de la science de la vie, ils ne lui demanderaient pas de la rigueur en des cas qui n’en comportent point. En effet, pour la physiologie, l’expérimentation n’est qu’une méthode accessoire et subordonnée. Sa vraie méthode, à elle, est la comparaison. Là, toute rigueur lui est possible, et lui est en effet imposée ; depuis la plante, qui est le dernier des animaux, jusqu’à l’homme, qui est le premier, depuis l’ovule imperceptible, germe d’un nouvel être, jusqu’à la décrépitude la plus avancée, depuis l’organisation la plus régulière jusqu’à la monstruosité la plus étrange, depuis la santé la plus parfaite jusqu’à la maladie la plus compliquée, depuis les influences des climats les plus froids jusqu’à celles des climats les plus chauds, se déroule une longue suite d’analogies et de différences qui sont le vrai domaine de la physiologie. Tout cas bien étudié donne quelque lumière ; ainsi a crû la science, qui doit à sa méthode la comparaison des êtres vivans, partant la notion de leur hiérarchie ; la comparaison des tissus, partant la connaissance de leurs propriétés spéciales et de leur identité fondamentale ; la comparaison des âges, partant l’histoire du développement de chaque appareil anatomique.

Des personnes mal informées demandent souvent à la physiologie quelle est la cause de la vie, et, s’étonnant de ne point recevoir de réponse, s’imaginent que pour cela elle est inférieure aux autres sciences, comme si aucune science rendait raison de la cause essentielle et dernière des phénomènes qu’elle étudie. Pour l’astronome la pesanteur, pour le physicien l’électricité, le calorique, la lumière et le magnétisme, pour le chimiste l’affinité moléculaire, sont les faits primordiaux au-delà desquels il n’est pas donné de pénétrer. En effet, quand bien même quelque découverte irait plus loin et réussirait, par exemple, à confondre le calorique avec la lumière ou la force électrique avec l’affinité chimique, on n’en serait pas plus avancé pour l’explication de la cause dernière. Un pas de plus sans doute aurait été fait, très important quant à l’élaboration scientifique, mais nul quant à l’objet que se propose la philosophie métaphysique ; l’essence des choses ne nous en serait pas plus dévoilée. La science peut se réjouir grandement et à juste titre de substituer un fait plus général à un fait qui l’est moins, mais elle connaît trop bien la portée de ses forces pour se croire en état d’aborder jamais les problèmes que l’esprit humain s’est posés dans son enfance, et dont il continue à poursuivre la solution par tradition et par habitude. Déjà même on peut entrevoir la fin du combat établi par le développement historique des sociétés entre l’imagination et la raison : l’imagination, d’abord seule maîtresse, crée les théologies et les métaphysiques ; la raison, qui ne devient prépondérante que postérieurement, crée les sciences, dissipant à fur et mesure les visions primitives, les formes vides et purement apparentes, cava sub imagine formas.