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qui, dans une minute, donne un certain nombre de battemens à Paris en donne moins à l’équateur, et prouve par là que la pesanteur y est plus faible, qu’on y est plus loin du centre de la terre, et que le globe est renflé dans son milieu. Rien de pareil ne se rencontre dans les expérimentations physiologiques ou médicales ; il n’est, pour ainsi dire, pas un cas où l’on soit maître de ne modifier qu’une seule condition. Toutes les fois qu’en un point on porte une atteinte à un corps vivant, l’atteinte va de proche en proche se faire sentir à tout l’organisme ; il est presque toujours impossible de la borner au lieu soumis à l’expérience, et la solidarité qui lie toutes les parties d’un être animé, solidarité d’autant plus forte et plus prompte que l’être est plus élevé dans l’échelle, et, partant, plus complexe, intervient aussitôt, de sorte qu’on ne sait plus si l’effet produit est dû à l’expérience même ou aux perturbations secondaires qui ont été excitées. Ce n’est pas tout : le sujet même n’est pas invariable ; un homme, à ce point de vue, ne peut jamais être dit semblable à un homme, un cheval à un cheval, et les infinies variétés de la constitution individuelle viennent encore compliquer de nouvelles difficultés un problème déjà si difficile. Il me suffira, pour cette cause d’incertitude, de citer un seul exemple, encore présent à la mémoire de tous. Quand le choléra s’abattit sur Paris, il atteignit non la population entière, mais seulement une portion des habitans. Pourquoi ceux-ci et non pas ceux-là ? La cause qui soudainement empoisonna le milieu où nous vivions semblait ne devoir pas faire acception de personnes ; pourtant l’un échappa, l’autre fut atteint. Et, parmi les victimes du mystérieux agent, quelle variété de symptômes et d’accidens, depuis ceux qui, foudroyés en quelque sorte, expirèrent en une ou deux heures, jusqu’à ceux qui ne sentirent passer sur eux qu’un souffle de l’épidémie, tant la constitution individuelle, par sa réaction propre, modifia les effets de l’influence commune à tous ! En présence de tant de causes de méprise, l’expérimentation physiologique a besoin d’être constamment soumise à une critique sévère ; plus elle est inévitablement troublée par des élémens étrangers, plus il faut s’en défier et démêler d’un ferme regard les incertitudes qu’elle comporte. Aussi n’est-ce, en général, qu’à l’aide d’une multitude de ces analogues qu’on parvient, dans une certaine limite, à écarter les erreurs. Ce qu’on peut reprocher aux médecins, c’est de trop croire leur expérimentation semblable à celle des physiciens et des chimistes. Autant l’une est nette et précise, autant l’autre est précaire et ambiguë ; autant l’une répond exactement à ce qu’on lui demande, autant l’autre se prête mal aux interrogations. Si une grave lacune n’existait pas dans les études des médecins, s’ils étaient plus familiarisés avec la physique et la chimie, ils auraient une notion claire de ce que sont les expériences rigoureuses, et n’hésiteraient pas à faire, dans leurs propres recherches, déduction de la part d’incertitude qui y est inhérente. De leur côté, si les hommes