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vie à éclairer ce parti, à le ramener à des sentimens raisonnables, à le corriger de ses préjugés étroits ; on ne peut pas du moins dire de lui qu’ayant débuté sous le drapeau de la cause libérale, avocat ardent des idées du progrès, il leur ait été infidèle. Tout au contraire, il a cherché, à se les approprier. Cela est bien quelque chose, et, si sévère que l’on se montre pour sir Robert Peel, on est forcé d’avouer qu’il est de pires ministres que lui.

Il est facile de voir ce que sir Robert Peel a gagné à sa conduite ; ce que les conservateurs en ont recueilli de plus clair est la ruine momentanée de leur influence dans le pays. Les whigs seuls peuvent être tenus à quelque reconnaissance envers sir Robert Peel. En pensant faire ses propres affaires, en croyant affermir son administration sur la base de toutes les opinions modérées, il a mis en déroute un parti qui avait résisté aux plus rudes guerres parlementaires. Comme à ses yeux le comble de l’habileté était de se faire l’écho de l’opinion publique, il a entraîné les tories sur le terrain de leurs adversaires, où ils ne pouvaient soutenir la lutte. Il ne s’apercevait pas qu’en empruntant les idées, les vues des whigs, il préparait le triomphe de ces mêmes idées et en même temps du parti qui les proclamait. Loin de donner une force nouvelle aux tories en les déguisant sous le nom de conservateurs, il leur enlevait avec leurs préjugés la vigueur originelle qui les soutenait, et les amenait insensiblement à se convertir aux principes de leurs ennemis.

Que sir Robert Peel ait par là rendu un important service à la cause libérale, qui en doute ? mais depuis quand la fin justifie-t-elle les moyens ? « Il est de l’intérêt du pays, écrivait récemment un noble esprit dont je suis heureux d’emprunter les paroles, il est de l’intérêt du pays que les hommes qui le gouvernent soient purs et d’un esprit élevé, qu’ils n’aient que des vues généreuses, qu’ils soient fidèles à leurs convictions, fermes dans leurs attachemens, prêts à affronter avec courage la proscription d’une cour et à porter avec patience les outrages de la multitude. Il est de l’intérêt d’un pays, lorsqu’il y a tant de routes à la fortune et tant de sources de jouissances tranquilles, que le grand art du gouvernement ait ses attraits pour ceux qui ne cherchent ni leur fortune dans les émolumens des places, ni leur amusement dans les excitations des intrigues politiques. Les hommes qui sont capables par le talent, préparés par l’éducation, et propres par leur intégrité à remplir les emplois les plus élevés dans le parlement et dans le cabinet, doivent être encouragés par de nobles exemples et enflammés par cet amour de la renommée qui élève l’esprit à mépriser les plaisirs et à vivre une vie laborieuse ; mais cela ne peut arriver que s’il est clairement démontré que le mérite éminent est accompagné d’une haute fortune, que si l’opinion vulgaire qui abaisse les poursuites de la politique ne peut souiller le pur miroir par lequel les véritables hommes d’état sont