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dans le gouvernement, en laissant subsister au sein du parti whig un dissentiment qui ne pouvait manquer de s’aigrir et de devenir plus profond et plus irréconciliable ? Ajoutez à cela que lord Grey, qui s’était le premier parmi les whigs déclaré pour le rappel complet et immédiat des corn-laws, avait d’étroites liaisons avec les chefs de la ligue, et qu’en le mécontentant on courait le risque de s’aliéner cette association redoutable, et vous comprendrez sans peine que lord John Russell et ses amis aient reculé devant l’accomplissement de la tâche que leur avait confiée la reine, et qu’ils aient renoncé, le 21 décembre, à prendre le pouvoir.

Les objections soulevées par lord Grey contre lord Palmerston ont assurément été la cause principale de l’avortement de la combinaison whig ; mais des gens qui ont tout sujet de se croire bien informés prétendent que la situation de lord John Russell était assez difficile sans cette complication imprévue. Ils assurent que, même avec l’adhésion de lord Grey, les whigs eussent échoué, et que des embarras tout aussi graves se fussent bientôt révélés, qui eussent eu la même conséquence. Le principe du rappel complet et immédiat des corn-laws une fois posé, comment procéderait-on à l’accomplissement de cette révolution ? Voilà le point qui avait été jusque-là débattu dans les conférences de Chesham-Place, et sur lequel on n’avait pu s’entendre. Au lieu de courir les chances d’insuccès que présentait la résistance de la majorité des deux chambres, ne valait-il pas mieux trancher tout d’abord la question et réaliser le rappel par un ordre du conseil ? C’était le plan qu’avait proposé sir Robert Peel à ses collègues. Tel était aussi l’avis des membres les plus hardis du futur cabinet de lord John Russell. Les whigs ne pouvaient se flatter, dans les circonstances présentes, de garder long-temps le pouvoir. En tranchant tout d’un coup cette grande question par un acte de la prérogative royale, ils liaient à tout jamais leur cause à celle du rappel des corn-laws et s’assuraient un triomphe infaillible dans un temps peu éloigné. Ce parti était raisonnable et certainement le plus sûr ; mais le respect pour l’action souveraine de la chambre des communes est si puissant en Angleterre, que plusieurs des amis les plus considérables de lord John Russell reculaient devant ce parti, et on désigne comme les plus intraitables avocats de la suprématie parlementaire lord Lansdowne, lord Cottenham et surtout le téméraire et aventureux lord Palmerston.

Sir Robert Peel fut donc rappelé au pouvoir, mais à son grand regret. Une scission dans le parti conservateur était devenue inévitable. Il chercha de nouveau et sans plus de succès à obtenir de la partie dissidente du cabinet le sacrifice de ses convictions. Plusieurs, il est vrai, revinrent sur leur première détermination, mais les autres, tels que lord Stanley et le duc de Richmond, restèrent fidèles à la cause de la protection. On a été fort surpris que ces derniers, qui d’abord croyaient