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Russell, prenait un essor plus élevé, et était regardé comme le futur premier ministre du parti libéral. Lord Lansdowne, à cause même de la douceur de son caractère, de ses goûts modestes et de ses opinions modérées, s’était souvent laissé effacer et n’avait pas toujours su tenir dans son parti la place qui lui appartenait. À la mort de ses rivaux, ses plus constans et ses meilleurs amis d’ailleurs et dans tous les temps, leur succession lui échut, et Lansdowne-House devint ainsi naturellement le quartier-général du libéralisme. Personne assurément n’est plus digne que lord Lansdowne de cette situation si enviable, et n’en fait un meilleur usage. Ses talens, qui sont du premier ordre, ses vertus, sa longue expérience des affaires, ses biens immenses, la part énorme qu’il a prise depuis un demi-siècle au gouvernement de son pays, sont autant de titres au respect et à la déférence de ses amis. Seul de notre temps, il a vu les beaux jours de gloire du vieux parti whig ; il est le dernier des amis et des lieutenans de M. Fox, et n’oubliez pas, monsieur, que lord Lansdowne a le mérite et l’honneur d’être le plus fidèle représentant en Angleterre de ces doctrines de liberté civile et religieuse qu’a proclamées la révolution française, et qui ont eu tant de peine à se faire jour parmi nous.

L’initiative partit donc de Lansdowne-House. On commença d’abord par se compter. Lord John Russell, le premier consulté, consentit à se mettre à la tête du mouvement. Lord Morpeth, lord Auckland et lord Palmerston donnèrent bientôt après leur adhésion. Quant à lord Clarendon, il ne pouvait y avoir aucun doute sur le concours du frère de M. Charles Villiers, et son opinion en faveur du rappel immédiat des corn-laws était connue depuis long-temps. M. Baring, M. Labouchère, lord Monteagle, ne firent aucune objection, et lord Cottenham se montra tout disposé à reprendre les sceaux. À l’égard de M. Macaulay, dont la parole est d’un si grand poids dans la chambre des communes, il est trop des amis de lord Lansdowne pour n’avoir pas été des premiers dans le secret.

En se déclarant ouvertement pour le rappel complet et immédiat des corn-laws, lord John Russell ne démentait pas, autant qu’on a bien voulu le dire, ses opinions antérieures. Il est vrai qu’autrefois, c’est-à-dire il y a une vingtaine d’années, cet homme d’état avait jugé la prohibition des blés étrangers nécessaire aux intérêts de l’agriculture. Peut-on de bonne foi lui reprocher de revenir sur une pareille opinion, émise dans un temps où elle était générale et peut-être justement fondée ? Depuis cette époque, on a fait bien des progrès sur cette question, comme sur tant d’autres. Il est vrai aussi qu’en 1841 lord John Russell admettait que les intérêts agricoles ne pouvaient se passer de la protection de l’état, et il proposait de frapper les blés étrangers d’un droit fixe de 8 sh. par quarter ; mais il y avait plus de hardiesse à