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aujourd’hui aux hommes d’état des lords B…, et avec avantage ; c’est le baromètre sur lequel ils se règlent en toute chose. Ainsi donc gardez-vous de dédaigner nos journaux ; seulement n’y cherchez que ce qui s’y trouve, l’expression de l’opinion publique, et jamais le secret des événemens politiques. Mais c’est trop s’arrêter à des préliminaires, et, pour satisfaire à votre juste impatience, j’entre en matière sans plus tarder.

Vers la fin de la dernière session, les chefs du parti whig se résolurent, d’un commun accord, à se prononcer en faveur du rappel des corn-laws, et à tenter de rentrer au pouvoir sous les, bannières de la ligne. Bien que sir Robert Peel eût autour de lui une majorité plus nombreuse, plus compacte que jamais, l’entreprise n’était pas si désespérée qu’on pouvait le croire alors, et il y avait à l’horizon des signes avant-coureurs auxquels de véritables hommes d’état ne se trompent guère. Quoi qu’il en soit, on assure que vers le commencement du mois de septembre tout avait été arrêté pour cette prochaine manifestation. Si je suis bien informé, c’est de Lansdowne-House que partit l’initiative de cette levée de boucliers inattendue, et cela seul lui donnait de grandes chances de succès.

Depuis la mort de lord Grey et de lord Holland, le marquis de Lansdowne peut être considéré comme le véritable chef du parti whig. Cette expression, que j’emploie faute d’autre, rend mal ma pensée, et je l’explique. Les whigs sont aujourd’hui, et ont été dans tous les temps, les représentans les plus purs de l’aristocratie. C’est dans leurs rangs que l’on rencontre les familles les plus anciennes, les plus illustres et les plus riches tout à la fois de cette noblesse qui rappelle par bien des côtés les meilleurs temps du patriciat romain. Les whigs n’ont donc jamais formé, comme les tories autrefois, et plus récemment les conservateurs, un corps uni, compacte, fortement discipliné sous la verge impérieuse d’un homme nouveau, tel que Pitt ou sir Robert Peel. On ne saurait mieux comparer les principaux personnages du parti whig qu’à des chefs de clan ; chacun a son bataillon, ses cliens dociles et respectueux, mais entre eux il y a la plus parfaite égalité et seulement une subordination volontaire. De tout temps, néanmoins, ces orgueilleux patriciens ont reconnu à certains des leurs une sorte de suprématie, — primus inter pares, — tout-à-fait indépendante de l’obéissance qu’ils accordaient à leur chef politique. Cette suprématie, jamais bien nettement déterminée et parfaitement reconnue, lord Lansdowne la partageait avec lord Grey et lord Holland. Toutefois, comme lord Grey gardait quelque rancune aux membres du cabinet de lord Melbourne, et ne pouvait leur pardonner de s’être si aisément passé de sa tutelle, il en était résulté chez lui quelque amertume, et partant une remarquable diminution de son autorité. Celle de lord Holland s’était au contraire d’autant plus affermie et étendue, que son favori, lord John