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commérages qui circulent dans les salles des conférences et des pas-perdus de vos deux chambres.

A l’égard des journaux quotidiens ou hebdomadaires, vous les lisez à Paris, et vous savez de quelle pauvre ressource ils sont pour connaître ce que vous appelez le dessous des cartes. Vous ne pouvez, monsieur, vous faire une juste idée de la différence qui sépare nos journaux des vôtres. Un journal, à Paris, est l’organe plus ou moins avoué, plus ou moins confidentiel, d’un parti ; il révèle les vues, les sentimens d’hommes politiques ayant passé aux affaires, ministres aujourd’hui ou destinés à l’être demain. Il n’en est pas ainsi à Londres. Un journal, chez nous, est une spéculation privée (genre de spéculation que vous nous empruntez, du reste, de plus en plus), sans relations même indirectes avec le cabinet et les membres de l’opposition. Quoi que l’on ait pu dire dans certains cas, tenez pour assuré que l’on n’a jamais soupçonné ici des personnages politiques de quelque valeur, des ministres, d’avoir, je ne dis pas écrit un article de journal, mais seulement dirigé, inspiré une feuille quotidienne ou hebdomadaire, comme cela arrive quelquefois chez vous. Les journalistes, en Angleterre, demeurent étrangers à ce qui se passe, s’agite dans l’étroite sphère du monde politique. Je peux apporter à l’appui de mon assertion un exemple frappant. Cet hiver, au plus fort des inquiétudes et de l’anxiété qu’avait fait naître la rentrée au pouvoir de sir Robert Peel, on ne s’entretenait ici dans les salons, dans les clubs même, que d’un article de l’Edinburgh Review consacré à la carrière politique de lord Grey et de lord Spencer. Au ton noble, élevé, plein d’autorité de l’écrivain, au style simple, clair, élégant, mesuré, à certaines réticences et allusions qui en disaient beaucoup plus qu’il ne paraissait, il était facile de deviner l’auteur. On le nommait en effet tout haut. Cet écrivain anonyme n’était autre que le chef du parti whig, le futur premier ministre de l’Angleterre, lord John Russell. Bien avant la publication de l’Edinburgh Review, les amis du noble lord annonçaient cet article comme le programme du prochain gouvernement whig. A peine eut-il paru qu’il devint le texte d’interminables commentaires. Quelques-uns le trouvaient trop timide, trop peu explicite sur les réformes réclamées par les radicaux et les free-traders. Les conservateurs modérés n’étaient pas complètement rassurés. Cet article pourtant semblait s’adresser particulièrement à cette classe qui devient de jour en jour plus nombreuse en Angleterre, libérale, éclairée, réformiste dans une certaine mesure en politique, comme en matière de commerce, qui croit que le temps des grands changemens dans l’ordre social est passé, que le bill de réforme et le rappel des corn-laws sont l’extrême limite où il faut s’arrêter, si l’on ne veut bouleverser la société de fond en comble ; qui repousse également les préjugés plus ou moins désintéressés des