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de cette loi mystérieuse dont l’auteur cherche à déterminer le but. Que l’on enferme dans de grandes volières, avec les conditions les plus favorables, et en leur fournissant les alimens qui leur conviennent, des oiseaux voyageurs, et pour chacun l’époque de sa migration se fera sentir par une agitation inaccoutumée. Quelques-uns tombent dans une sorte de marasme et se laissent mourir de faim. Le sentiment maternel, si puissant chez les oiseaux, ne peut contrebalancer ce désir de voyage, et il n’est pas rare, à l’époque du départ des hirondelles, de les voir abandonner leurs petits quand quelques jours de plus suffiraient pour leur donner la force de les suivre.

Chez les mammifères, les migrations, qu’il ne faut pas confondre avec leurs déplacemens accidentels, sont beaucoup plus rares que chez les oiseaux. Parmi ceux qui paraissent le plus exclusivement dominés par le pur instinct, l’auteur cite les isatis et les lemings. Ces derniers, surtout, dirigent leurs courses à travers l’Océan et le golfe de Bothnie avec une imperturbable précision. Rien ne les arrête, ils traversent les fleuves, les bras de mer, les montagnes, poursuivant leur but avec une sorte d’aveugle fatalité. Ils ne marchent que la nuit, sur deux lignes parallèles et serrées, s’arrêtant pendant le jour, et ne laissant pas trace de végétation sur leur passage, puis ils repartent, toujours suivis par des carnassiers et des hiboux qui les déciment à tel point que peu d’entre eux parviennent au terme de leur voyage. Doués d’une fécondité extraordinaire, à peine prennent-ils le temps de réparer leurs pertes qu’ils se remettent en voyage en sens contraire, traversant les mêmes dangers sans dévier de la ligne droite, et paraissant n’accomplir ces désastreuses pérégrinations que pour compenser par les pertes nombreuses qu’ils éprouvent la fécondité de leur race.

Peut-être faut-il voir un but analogue dans le déplacement d’un grand nombre de poissons comme le hareng, le maquereau, les sardines, qui vont, à des époques fixes, suivis et décimés par les squales, les baleines et les cachalots accomplir cette grande migration qui chaque année verse l’abondance et la richesse sur une côte de plus de deux mille lieues. L’histoire de ces migrations et des causes qui les déterminent est tracée par M. de Serres avec une science d’observation peu commune et présente un nombre infini de faits entièrement neufs. Excepté certaines tortues marines, peu de reptiles accomplissent de grands voyages périodiques. On rencontre bien à des époques déterminées, au milieu de l’Océan Pacifique, des troupes de ces énormes tortues franches qui dorment au soleil à plus de cinq cents lieues de toute terre et s’en reviennent par bandes enfouir leurs œufs dans les sables des rivages brûlés par le soleil ; mais ce n’est là qu’un fait isolé, et l’on peut dire que les déplacemens des reptiles sont tous soumis à l’influence des saisons.

Les animaux erratiques et ceux qui n’abandonnent momentanément leur patrie que pour rencontrer ailleurs une nourriture plus abondante sont en bien plus grand nombre que les premiers ; depuis l’ours polaire et le renne, le morse, le cachalot et le crocodile, jusqu’aux animaux les plus inférieurs, comme les insectes et les coquillages, presque tous les animaux se livrent à des courses plus ou moins capricieuses, plus ou moins déterminées par les changemens de température ou l’instinct de la reproduction. L’histoire de ces voyages, tantôt isolés, tantôt en troupes organisées avec une prévoyance surprenante, présente des particularités qui donnent au livre du savant naturaliste un puissant intérêt. Il