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de ne pas sentir, dès les premières pages de la défense de l’Anglais Jean Milton[1], la sincérité du fanatisme qui enflammait l’écrivain. Avec quel dédain il entame la réfutation de Saumaise, dont il raille la stérile prolixité ! Milton déclare qu’il n’a en face de lui ni un orateur, ni un historien, pas même un avocat, mais une sorte de bateleur, de saltimbanque qui a recours aux plus misérables artifices pour attirer l’attention. Voilà sur quel ton se trouve sur-le-champ montée une polémique dans laquelle le secrétaire du conseil d’état de Cromwell poursuit, Saumaise de proposition en proposition, d’exemple en exemple, avec une véhémence qui dut épouvanter le professeur de Leyde. Il s’élève contre l’erreur fondamentale de Saumaise, qui avait confondu les droits d’un père avec ceux d’un roi. « Un père met au jour ses enfans, dit Milton, mais ce sont les citoyens qui créent le roi. La nature donne un père à l’homme, un peuple se donne un roi à lui-même. » Les conséquences d’une telle différence se déroulent sous la plume de Milton, qui arrive à conclure que, s’il est interdit à des enfans de punir la tyrannie d’un père, il est permis à un peuple de châtier celle d’un roi. Saumaise avait imprimé que Charles Ier avait moins péché sur le trône que le roi David. Ce rapprochement jette Milton dans une indignation violente, et lui inspire des déclamations plus cyniques à coup sûr que les galanteries du roi Charles. La réponse de Milton est plus courte de la moitié que l’ouvrage de Saumaise, et elle se lit avec une bien autre facilité. Il y a au fond du latin de Milton une vie, un mouvement qui porte le lecteur ; si l’esprit n’est pas persuadé, il est captivé du moins par cet orgueilleux et, austère patriotisme qui faisait dire à Milton en terminant : « Les Anglais n’ont pas besoin de chercher à justifier ce qu’ils ont fait par l’exemple d’autres peuples ; ils ont leurs propres lois, et, à leurs yeux, dans aucun pays il n’en est de meilleures. Pour exemple à suivre, ils ont leurs ancêtres, hommes énergiques et forts qui ne cédèrent jamais aux rois dont la volonté s’égarait jusqu’au despotisme. Nos ancêtres ont mis à mort plusieurs tyrans. Les Anglais sont nés dans la liberté, ils se suffisent à eux-mêmes ; ils ont la puissance de se donner les lois qu’ils veulent : il en est une surtout qu’ils observent par-dessus toutes les autres, c’est cette loi décrétée par la nature elle-même qui assigne à l’état social, non la satisfaction des caprices des rois, mais le salut et la liberté des bons citoyens. » A un langage aussi hautain, aussi fier, un anonyme- répondit par- un pamphlet qui avait pour titre : Cri du sang royal[2]. Cet n’était plus tant une défense de la cause monarchique qu’une vengeance exercée contre Milton, qui était représenté comme une

  1. Joannis Miltoni Angli pro populo Anglicano Defensio contra Claudii anonymi, alias Salmasii, Defensionem Regiam. Londini, 1651.
  2. Regis sanguinis. Clamor ad Coelum, adversus parricidas Anglicanos.