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fond de l’Estramadure, et le réseau de ces mille souverainetés municipales était brisé devant l’autorité de la loi. Un système électoral moins complexe et plus sincère allait donner à l’Espagne une représentation plus vraie de tous ses intérêts. Les deux chambres portaient le dévouement monarchique jusqu’à l’enthousiasme, et la tribune ne retentissait que de voix conciliatrices. Pendant que le général Narvaez disciplinait l’armée, rendant ainsi à son pays le seul service qu’on pût attendre de lui, ses collègues disciplinaient l’administration, et M. Martinez de la Rosa devenait le lien entre l’autorité militaire et le principe libéral associés enfin pour le bien-être de la Péninsule ; d’importantes négociations étaient engagées avec le saint-siège, qui reconnaissait la souveraineté d’Isabelle II, et le mariage de la jeune reine restait désormais la seule question à résoudre.

C’est au sein de cette situation régulière, inconnue à l’Espagne depuis un demi-siècle, qu’une crise ministérielle se produisit tout à coup il y a quelques semaines. Lassé de se contraindre devant ses collègues et devant les cortès, le duc de Valence a pris en horreur un régime qui imposait des bornes à ses prodigalités ; il n’a pu comprendre que ses dettes de jeu ne fussent pas aussi sacrées pour l’Espagne que celles du trésor ; et, associant habilement sa querelle personnelle à l’irritation de la reine-mère, troublée dans ses projets de mariage, il a brisé un cabinet qui jouissait, au sein des cortès, d’une majorité considérable, et qu’aucun dissentiment n’avait mis en désaccord avec la couronne. Sommés de quitter les affaires, parce qu’il plaisait au duc de Valence de dissoudre le cabinet présidé par lui, les ministres répondirent, conformément à toutes les règles constitutionnelles, qu’aucune difficulté régulière ne s’opposant à leur marche, ils attendraient une destitution. On sait que celle-ci ne tarda pas à les frapper, et l’on se rappelle les négociations qui aboutirent à la formation du cabinet dirigé par M. le marquis de Miraflorès ; mais ce cabinet contenait des hommes trop importans et trop sérieux pour se prêter complaisamment au rôle subalterne qu’avait entendu lui réserver le duc de Valence, appuyé par la triste camarilla qui assume en ce moment une si terrible responsabilité. Après avoir réduit à un titre purement honorifique les fonctions de commandant en chef de l’armée conférées au général Narvaez, le nouveau ministère reprit avec loyauté l’œuvre constitutionnelle entamée depuis deux ans. Le congrès, tout en regrettant la retraite des chefs du parti modéré, s’empressa de donner aux hommes honorables appelés à les remplacer un assentiment décidé. Ce n’était pas là le compte des brouillons qui entendent exploiter l’Espagne et puiser à pleines mains dans ses caisses. Un cabinet appuyé sur la majorité des cortès, et dont ils restaient exclus, ne pouvait manquer de les avoir bientôt pour ennemis. Personne ne se trompait depuis trois semaines, à Madrid, sur l’attitude que prendrait bientôt le général Narvaez ; mais ce qui a surpris l’Europe, accoutumée cependant à tout l’imprévu des affaires d’Espagne, c’est l’impudeur de l’agression unie à la frivolité des motifs, ce sont ces déclamations monarchiques d’un pouvoir contempteur des lois qui invoque, pour se justifier, des périls imaginaires, et ne paraît pas soupçonner ceux dont il va entourer le trône. Le ministère Narvaez, sorti d’une intrigue, débute par une révolution : il suspend la liberté de la presse, dissout les cortès sans en avoir obtenu un vote de subsides, et se complète par l’adjonction d’hommes inconnus ou compromis. M. Burgos, trop célèbre dans l’histoire financière de sa patrie ; M, Egaña, connu par la violence